Pêcher le marlin en Méditerranée : lorsque le rêve devient réalité !

La simple évocation du mot marlin évoque, dans l’esprit de tous les pêcheurs sportifs, l’image de destinations lointaines et tropicales. Et pourtant, il existe en Méditerranée une espèce de marlin, méconnue des pêcheurs, le marlin de Méditerranée, Tetrapturus belone. Une espèce rare, discrète et dont les captures généralement accidentelles lui ont aussi donné le surnom de “poisson chance” !

LA PREMIÈRE RENCONTRE

Ainsi, comme de nombreux pêcheurs, je suis tombé un jour par hasard sur un de ces poissons mystérieux avançant doucement à la surface de l’eau… Il était là, devant nous. Seule l’extrémité de ses nageoires dorsale et caudale perçaient la surface, laissant sur l’eau un V aussi discret qu’éphémère. Puis, ces rencontres au large du delta du Rhône se sont succédé au fil des années et des sessions de guidage. Elles sont d’ailleurs devenues de plus en plus fréquentes à mesure que je commençais à comprendre aussi bien les conditions météorologiques favorables aux observations que les indices pour les repérer à la surface de l’eau. En effet, c’est généralement à partir du mois de juin, lorsque la mer est d’huile et le soleil au zénith que les chances d’en observer sont les plus grandes. C’est ainsi en naviguant tranquillement et en scrutant tous ensemble la surface de l’eau que nous arrivons à les repérer. Il n’est alors pas rare, lorsque les conditions sont bonnes et que l’on se trouve sur la bonne zone, d’en observer plusieurs dans la même journée. Cependant, la première brise qui soufflera à la surface de l’eau mettra un terme à votre recherche car il ne sera alors plus possible de les percevoir. Cependant, s’il m’arrivait d’avoir plusieurs occasions dans la journée, toutes mes tentatives de capture restaient veines. Ils réagissaient pourtant très bien aux leurres, en les suivant avec agressivité jusqu’au bateau. Le bleu électrique et rayé de leurs corps trahissant clairement une volonté de tuer et de s’emparer de ce morceau de plastique qui venait perturber leur route. Mais, pour autant, jamais ils n’attaquaient et, arrivés à quelques mètres du bateau, tentant parfois un dernier coup de rostre sur le leurre, ils s’en désintéressaient. Je voyais alors mon rêve s’éloigner doucement, me laissant impuissant et perplexe… Il me fallait comprendre, il me fallait réussir à déclencher l’attaque de ce poisson mystérieux que j’avais si souvent devant moi ! En capturer un est rapidement devenu une obsession.

L’OBSESSION

Mais comment capturer un poisson aussi exceptionnel, aussi discret et aussi capricieux ? Pourquoi suivaient-ils les leurres avec autant d’agressivité sans jamais les attaquer ? Est-ce qu’il leur fallait plus de temps pour s’en emparer clairement ? Fallait-il donc les pêcher à la traîne comme leurs cousins tropicaux ? Les quelques retours de capture que je pouvais glaner ici et là m’orientaient incontestablement vers une pêche à la traîne… Mais, traîner des heures durant au milieu de la grande bleue, espérant la récompense ultime d’une touche, ne m’enchantait pas vraiment et cela resterait encore, d’une certaine manière, le fruit du hasard… Ce que je voulais, c’était le capturer lui, celui-là même que je voyais devant moi, je le voulais lui et pas un autre ! Il me fallait donc trouver un moyen, une technique pour essayer de pêcher ce poisson à la traîne et à vue. Cependant, la furtivité et l’aléa de la rencontre rendait la tâche très difficile. Il fallait pouvoir se mettre en action de pêche en quelques secondes sans perdre de vue les quelques centimètres de nageoire qui dépassaient de la surface. Si je tenais bien là une première piste dans la réussite de cet objectif, la concrétisation et la mise en œuvre restaient théoriques et approximatives.

LA PHASE DE TÂTONNEMENT…

Aussi, comme les rencontres se faisaient toujours lors de mes sessions de guidage de pêche des thons aux leurres sur chasse, j’ai donc commencé en essayant de traîner “mes” leurres à thons. En effet, les cannes étant déjà prêtes, il me suffisait alors d’en attraper une et de laisser filer le leurre quelques mètres derrière le bateau, tout en essayant de le faire passer devant le poisson. J’avais la théorie et les tentatives se sont donc enchaînées, sans succès, jusqu’au jour où, j’ai traîné un popper. Je le vois encore faire des traînées de bulles à l’arrière du bateau, me permettant ainsi d’ajuster la trajectoire du leurre sur celle du poisson. Puis, rapidement, j’observe l’ombre du poisson suivre sur plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, avant de voir enfin, après tant de tentatives, la gerbe d’eau amplement attendue de la première attaque. Je me rappelle très bien stopper le bateau et ferrer. Le poisson, popper dans la bouche, avançait alors vers le bateau, secouant la tête hors de l’eau jusqu’à ce qu’il finisse par se décrocher après quelques secondes seulement. Mais, bien qu’il se soit décroché, j’avais enfin réussi à déclencher l’attaque de ce poisson énigmatique. Le sentiment d’échec était toujours là, mais il nourrissait alors une détermination toujours plus grande, car je tenais enfin quelque chose. Alors j’ai recommencé, encore et encore… Déclenchant des attaques de plus en plus régulièrement mais sans jamais réussir à les piquer correctement. Ils me résistaient toujours, en se décrochant toujours au bout de quelques secondes seulement. Il était évident qu’il me manquait quelque chose…

… PUIS LE DÉCLIC !

Aussi, c’est en 2020, en observant avec admiration le travail et l’organisation des marins lors d’une session de pêche hauturière à Golfito, au centre Costa Rica Pêche Passion, que j’ai eu le véritable déclic.  Que ce soit sur le matériel, les leurres, la technique ou encore la vitesse de traîne, c’est cette sortie qui m’a permis de comprendre les erreurs que je faisais. Je revois les leurres à jupes avec leurs gros hameçons droits, je revois Irving, le capitaine, ajuster la vitesse en observant les leurres travailler à l’arrière du bateau. Sans parler de John, le matelot qui, lui, adaptait la distance des leurres par rapport aux vagues créées par le sillage du bateau. Puis, lorsque survint la première touche, l’importance de la gestion du bateau. Le capitaine, mains sur la barre et la commande des gaz travaillait en réalité le poisson tout autant que le pêcheur au bout de la canne ! Un véritable travail d’équipe, une chorégraphie millimétrée pour aboutir à la capture merveilleuse d’un poisson à rostre. Il ne me restait donc plus qu’à essayer d’adapter tout cela, chez nous, pour prendre à vue nos marlins de Méditerranée…

LA STRATÉGIE PAYANTE

Au retour de ce voyage enrichissant, je possédais donc tous les éléments pour enfin réussir à les capturer. Ma stratégie était désormais claire. Pour le matériel, il me fallait une canne spécifiquement préparée pour cela. J’ai donc sélectionné une canne de traîne avec un moulinet d’une contenance de +/-400 m de tresse en 80 lbs. Je l’ai équipée d’un bas de ligne de +/-2 m en nylon 200 lbs sur lequel j’ai monté un leurre à jupe d’une vingtaine de centimètres et armé d’un hameçon simple droit de 10/0. Le montage était prêt, le frein du moulinet justement réglé pour encaisser l’attaque et le rush, cette canne serait désormais ma meilleure amie. Toujours là à côté de moi, dès que la mer est d’huile, elle est prête à être mise à l’eau à la moindre occasion. Il me fallait également préparer mes équipes de pêcheurs. Aussi, désormais, à chaque fois que les conditions de mer me laissaient supposer une probable observation de marlin, je faisais un petit briefing à mes pêcheurs. Pour eux la consigne était simple et claire mais d’une importance capitale, ne jamais le perdre de vue. Ainsi, je voulais que chacun de mes pêcheurs pointe le poisson du doigt sans jamais le lâcher du regard. Si le pointer du doigt peut sembler exagéré, il n’en est rien car les vagues générées par le bateau viennent rendre l’observation beaucoup plus difficile. N’ayant pas de point de repère sur l’eau, il est très facile de se désorienter et de ne plus le retrouver. En pointant le poisson avec le doigt, on reste sur la zone et même s’il disparaît quelques secondes dans les vagues, il est alors beaucoup plus facile de le retrouver.

Pendant ce temps-là, je pouvais immédiatement ralentir la vitesse du bateau et engager mon pilote automatique pour conserver le cap. Je pouvais ainsi me libérer de la barre pour mettre la canne en pêche en ajustant la distance de traîne à environ 30 mètres du bateau. Une fois le leurre à bonne distance, pick-up fermé et la canne dans le porte-canne, je pouvais passer à la deuxième phase, l’approche.

Montage :

  • leurre : C&H Lures Alien, 19 cm ;
  • hameçon : VMC Dynacut Inox 8 700S 10/0 ;
  • bas de ligne : Black magique 200 lbs ;
  • émerillon : BKK Infinity Swivels JS.

Description : le montage d’un leurre à jupe est relativement simple avec un bas de ligne de 200 lbs d’une longueur d’environ 2 m. Un émerillon BKK Infinity Swivels JS est sleevé en tête du montage. La jupe coulissante sur le bas de ligne est bloquée en partie basse avec une sleeve et une perle de sorte que l’hameçon simple vienne se positionner au ras de la jupe en action de pêche (cf photo).

L’APPROCHE…

C’est probablement la phase la plus délicate et c’est elle qui va en partie conditionner la réussite ou non de l’action. L’objectif est simple : passer le leurre à quelques mètres seulement devant le poisson et cela à une vitesse comprise entre 7 et 9 nœuds. Pour cela, l’idéal est d’arriver dans le même sens de déplacement que le poisson et de le dépasser parallèlement à une distance d’environ 15 mètres du bateau. C’est d’ailleurs l’occasion d’observer la taille et la beauté de ce poisson. Dans la plupart des cas, ils ne sont pas dérangés par le bateau qui les dépassent, au contraire même, en grande majorité ils viennent voir le bateau. Lorsque c’est les cas, ce sont des conditions idéales puisqu’il est bien plus facile d’ajuster la trajectoire du leurre sur celle du poisson. Il faut également essayer de maintenir le leurre non pas dans l’écume blanche de la trainée du moteur, mais juste à côté. Une fois dans l’axe, il ne reste plus qu’à observer le leurre et espérer. Il est souvent nécessaire de s’y reprendre à plusieurs fois. Pas de panique, si la première approche n’est pas bonne, calme et concentration vous permettront de le revoir un peu plus loin une fois que les vagues générées par le moteur se seront calmées. Normalement, si l’action est correctement réalisée, le poisson viendra se mettre sous le leurre, l’ombre de celui-ci et la nageoire dorsale perçant la surface de l’eau trahiront visiblement son intérêt pour le leurre. C’est d’ailleurs le moment que je choisis pour remettre mon pilote automatique afin de garder le cap et naviguer droit, cela me permettant ainsi de me concentrer seulement sur l’action sans risquer de mauvaise manœuvre..

LA TOUCHE…

Une fois engagé derrière le leurre, il y a des fortes chances qu’il passe à l’attaque. Je n’ai pas souvenir de poisson qui ait suivi le leurre sans l’attaquer ou le rostrer au moins une fois. Tel un marlin tropical, il viendra probablement frapper le leurre avec son mini-rostre avant de tenter de s’en saisir. Disparaissant pendant plusieurs dizaines de mètres avant de ressurgir violemment sur le leurre. Il ne faut surtout pas ralentir le bateau. Au contraire, tenter d’accélérer un peu pour qu’il se pique lors de la touche suivante n’est pas une mauvaise option. Par exemple, j’ai pu enregistrer sur certains poissons jusqu’à 7 ou 8 attaques avant de finir par le piquer et terminer à une vitesse de traîne avoisinant les 20 km/h.

PLACE AU COMBAT !

Une fois piqué, la canne cintrée par la pression du bateau qui avance et le poisson qui tire, il faut le laisser faire, garder cette pression intense pendant plusieurs dizaines de secondes, voire quelques minutes. Les premières minutes sont critiques et le risque de décrocher est grand. Le poisson va entamer ses premiers sauts à la surface de l’eau et maintenir une forte tension sur la ligne grâce au moteur qui est indispensable pour limiter les risques de décrochage. Pas de stress, laisser le frein chanter, avec 400 mètres ou plus de ligne, il y a le temps. Le combat débuté, laisser toujours le moteur en marche vitesse engagée. Les marlins de Méditerranée offrent des combats intéressants et plus spectaculaires que violents. Bien qu’ils ne soient pas très puissants, ils ont généralement tendance à rester à la surface et à effectuer de nombreux sauts.

PRÉSERVATION DE L’ESPÈCE

Contrairement à certaines espèces, les spearfish se relâchent relativement bien et il est donc facile de le capturer en “catch and release”. Soyez précautionneux lors de la manipulation et une légère réoxygénation moteur en marche favorisera clairement ses chances de survie. Enfin, pour ceux qui auraient de grandes difficultés à repartir en pleine forme, sachez que c’est un poisson excellent à consommer.

Si la pêche du marlin de Méditerranée reste une pêche d’opportunité, notamment en raison du caractère relativement aléatoire des rencontres, il reste néanmoins tout à fait possible de les cibler spécifiquement. Pour ma part, la mise en place de cette technique m’a permis depuis d’obtenir de très bons résultats sur cette espèce. Nul doute que si vous êtes attentifs, lorsque les conditions de mer sont favorables et que vous vous y êtes préparé, vous arriverez vous aussi à capturer un de ces fabuleux poissons. Mais l’histoire n’est pas terminée pour moi, car il existe en Méditerranée un autre poisson à rostre. Plus grand, plus massif et plus prestigieux encore, un poisson que l’on observe encore plus rarement à la surface et réputé pour être l’un des poissons à rostre les plus difficiles à prendre au monde. Un poisson emblématique que je pourrai, je l’espère, vous présenter un jour comme je l’ai fait aujourd’hui avec les marlins de Méditerranée ◆

LE MARLIN DE MÉDITERRANÉE

Aussi dénommé espadon à rostre court, lancier ou encore shortbill spearfish, Tetrapturus belone fait partie de la famille des marlins. Son absence de rostre ou presque le rend facilement identifiable et limite tout risque de confusion avec l’espadon Xyphias Gladuis * beaucoup plus massif et possédant un long rostre. Pouvant atteindre, si on en croit la littérature, une taille pouvant aller jusqu’à 2,40 mètres pour 70 kilos, tous les individus que j’ai pu observer et capturer se situaient plutôt aux alentours des 1,80 – 2 m. Le marlin de Méditerranée est une espèce relativement peu connue et dont la pêche n’est pas soumise à une règlementation particulière (DIRM MED).

* Il est d’ailleurs très important de rappeler que la pêche de loisir de l’espadon en Méditerranée (Xiphias gladius) est strictement interdite aux navires battant pavillon d’un État tiers à l’Union européenne. Elle est autorisée entre le 1er avril et le 31 décembre de chaque année, mais exclusivement à la canne et uniquement dans le cadre de la pratique du pêcher-relâcher, à la condition de relâcher le poisson vivant immédiatement après sa capture. Entre le 1er janvier et le 31 mars de chaque année, la capture, la rétention à bord, le transbordement et le débarquement de l’espadon en Méditerranée, en tant qu’espèce cible ou en tant que prise accessoire, sont interdites. Pour l’Atlantique, Manche et mer du Nord, la taille de capture est de 170 cm, avec comme règle de calcul longueur maxillaire inférieur-fourche et fait l’objet d’un marquage obligatoire.