Dessalement d’eau de mer : UNE SOLUTION “POTABLE” pour l’eau douce du futur ?

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On dit parfois que la réalité dépasse la fiction ! Si certains films légendaires, comme “Soleil Vert” sorti en 1974, ou un peu plus tard, “Waterworld” (1995) prédisaient un monde épuisé de ses ressources naturelles, le nôtre bien réel s’en inquiète de plus en plus ! Et l’eau potable en devient l’enjeu vital au sens propre ! Pourtant, plus des deux tiers de la surface de la Terre est recouverte par les océans. Alors, bien entendu, la question s’est posée : pourquoi ne pas exploiter cette eau salée et la transformer en source de vie ? C’est ce qu’ont fait depuis longtemps certaines régions du monde intrinsèquement confrontées à des conditions arides, en particulier le Moyen-Orient pourvu d’abondantes ressources… qui ne se boivent pas ! Mais le stress hydrique est devenu une problématique qui n’épargne plus guère notre planète dans son ensemble, au point qu’à ce jour, plus de 150 pays se sont dotés d’usines de dessalement dont dépendent de plus en plus leurs populations. Pourtant, cette solution dite prometteuse n’est pas sans impacts écologique et climatique, et soulève un débat controversé sur son potentiel à sauver la planète sans la mettre davantage en péril !

L’avenir de l’eau en plein stress !

Stress hydrique, pénurie d’eau : deux termes qui reviennent de façon permanente dans toutes les observations et alimentent nos inquiétudes face à des prévisions devenues incontestables. Pourtant, ces images de sécheresse, de terres arides, de populations en souffrance faute d’avoir de “l’eau propre” à leur portée, ne sont pas nouvelles dans certaines partie du monde. À vrai dire, la problématique fondamentale n’est pas que la Terre abriterait moins d’eau… C’est qu’elle accueille de plus en plus d’habitants poussés par une croissance économique et des modes de vie de plus en plus consommateurs de la ressource ! L’agriculture (première consommatrice d’eau douce, en particulier pour les cultures intensives), l’industrie au second rang et, dans une moindre mesure la consommation domestique, génèrent des demandes croissantes en eau qui, dans certaines régions, excèdent la capacité de renouvellement et entraînent des déficits chroniques.

Ce déséquilibre, entre l’augmentation de la consommation d’eau et le niveau des sources dites “conventionnelles” (aquifères, rivières, précipitations, fonte des neiges…), est exacerbé par plusieurs facteurs cumulés : réchauffement climatique, gaspillage, exploitation non durable des ressources, pollution causée par les activités humaines…

DES CHIFFRES, PLUS QUE DES MOTS !

Sur ces sujets, tous les débats amorcés sont désormais incandescents et vitaux ! Plutôt que de grandes théories ayant fait couler des encres bien plus expertes que la nôtre, nous avons préféré ici synthétiser le contexte à travers quelques chiffres (hélas) éloquents :

  • 8 milliards d’individus, c’est la population mondiale atteinte officiellement le 15 novembre 2022, selon l’Organisation des Nations Unies (ONU). Nous étions 2,6 milliards en 1950, nous devrions atteindre 9,7 milliards d’individus en 2050 et 10,4 milliards en 2100 ;
  • la demande en eau a augmenté à un rythme deux fois supérieur à celui de la croissance démographique au cours du XXe siècle ;
  • en 2021, plus de 2,3 milliards de personnes ont été confrontées au moins une fois dans l’année au “stress hydrique”, lorsque les ressources n’ont pas suffi à répondre à leurs besoins essentiels ;
  • 10 % de la population mondiale vit dans des pays où le stress hydrique atteint “un niveau élevé ou critique”, selon un rapport de l’ONU ;
  • en 2021, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait que 785 millions de personnes n’avaient toujours pas accès à une source d’eau potable de base ;
  • selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), plus de la moitié des zones humides du monde ont disparu au cours des 100 dernières années en raison de l’utilisation non durable de l’eau.

Bien entendu, ces chiffres globalisés de la situation hydrique planétaire masquent d’importantes disparités entre les différentes régions du monde. Si certaines d’entre elles restent relativement à l’abri des risques majeurs de pénurie – mais pour combien de temps encore ? –, d’autres pays affrontent ce défi de plus en plus fréquemment, contraints de trouver des alternatives et des solutions pour la survie de leurs populations.

Le dessalement d’eau de mer, une réalité bien ancrée

Quand on sait que les eaux salines couvrent 71 % de la planète, représentent plus de 97 % du volume des eaux sur Terre, que 40 % de la population mondiale vit à moins de 100 km de la mer et 25 % à moins de 25 km d’un rivage… il n’est pas étonnant que le dessalement d’eau de mer se soit imposé progressivement comme une solution de premier plan pour faire face au stress hydrique croissant qui, selon les Nations Unies, concernera les deux tiers de la population mondiale dès 2025 ! Alors, force est de constater qu’un véritable “boom” des industries de dessalement est à l’œuvre.

Selon les données de l’IDA (International Desalination Association), les infrastructures de dessalement sont passées de 18 000 usines en 2017, générant environ 97 millions de m3, à plus de 22 000 en 2022, produisant 110 millions de m3 d’eau douce par jour dont bénéficient – ou dépendent – désormais plus de 300 millions de personnes ! Les capacités mondiales de dessalement ont augmenté de 4,7 millions de m3/jour entre 2019 et 2020, ce qui est considérable ! Il faut cependant noter qu’en moyenne, une grande partie de l’eau douce produite est dédiée à l’agriculture (70 % voire 80 % selon les régions), 20 % à l’industrie et seulement 10 % aux ménages…

DEUX PROCÉDÉS ET UN MÊME PRINCIPE

Les technologies actuelles de dessalement sont classées en deux catégories : les procédés thermiques et les procédés membranaires. Parmi ces grandes familles, la distillation et l’osmose inverse sont celles (parfois combinées) qui dominent l’industrie mondiale du dessalement d’eau de mer. Quelle que soit la technologie utilisée, les installations de dessalement fonctionnent schématiquement sur le même principe : le pompage de l’eau saline, le pré-traitement de l’eau prélevée, l’opération de dessalement à proprement parler, la dispersion des rejets dans l’environnement marin (voir plus loin), et la reminéralisation de l’eau douce produite si celle-ci est destinée à la consommation. Il faut savoir qu’un litre d’eau de mer concentre en moyenne 37 gr. de sel, mais ce taux de salinité peut être très variable : 7 gr/l pour la mer Baltique contre 270 gr/l pour la mer Morte !

La distillation consiste à chauffer l’eau de mer pour en obtenir la vapeur dépourvue des sels. Il suffit alors de la condenser sur des parois froides pour récupérer l’eau douce liquide. Il s’agit ni plus ni moins de reproduire le cycle naturel de l’eau. L’inconvénient majeur du procédé est sa consommation énergétique particulièrement gourmande.

L’osmose inverse est basée sur la séparation physique de l’eau et des sels dissous grâce à une membrane semi-perméable qui laisse passer les molécules d’eau mais retient les sels – ainsi que les matières organiques et résiduelles – sous l’action d’une forte pression. Le principal avantage de ce procédé est de ne consommer que l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement de ses pompes haute pression. En revanche, le procédé a deux inconvénients majeurs : la production d’une saumure particulièrement concentrée et l’utilisation de pré-traitement chimique plus important pour éviter l’encrassement des membranes.

CES PAYS QUI MISENT SUR LE DESSALEMENT D’EAU DE MER

Confrontés à des conditions arides et à une croissance rapide de leur population, les pays du Moyen-Orient ont été parmi les premiers à adopter massivement le dessalement d’eau de mer. Dans une récente étude, l’IFRI (1) dresse un état des lieux particulièrement édifiant : “La majorité des pays du Golfe dépendent désormais en grande partie de l’eau dessalée pour la consommation de leurs habitants : aux Émirats arabes unis, 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement, 90 % pour le Koweït, 86 % pour Oman, 70 % pour l’Arabie Saoudite […] Les capacités de dessalement de l’Arabie Saoudite passeront de 5,6 millions de m3 par jour en 2022 à 8,5 millions de m3 par jour en 2025, et devront couvrir plus de 90 % de la consommation en eau du pays. De même aux Émirats arabes unis, au Koweït, à Bahreïn ou en Israël, où la produc­tion d’eau dessalée va plus que doubler d’ici à 2030”.

Avec l’essor et la diversité des solutions disponibles – allant des petites unités locales dessalant moins de 1 000 m3 par jour aux méga-usines capables de produire au quotidien plus de 200 000 m3, voire plus de 2 millions de m3 comme le site de Jebel Ali à Dubaï –, ces technologies sont désormais utilisées sur pratiquement tous les continents. Le Moyen-Orient ne représente plus que la moitié des capacités installées dans le monde.

En Europe, le pays le plus utilisateur du dessalement est l’Espagne qui compte un millier d’installations de dessalement, capables d’approvisionner 15 à 20 % de l’eau douce du pays. La ville de Barcelone est équipée d’une installation de dessalement – la plus grande d’Europe – qui peut délivrer 200 000 m3 d’eau potable chaque jour et alimenter jusqu’à 33 % des habitants de la métropole.

“En Afrique, des projets d’envergure ont été récemment annoncés en Algérie et au Maroc, pays jusqu’alors dotés d’eau potable en quantité suffisante […] Dans la zone indopacifique, pour la seule année 2020, plus de 35 usines de dessalement ont été annoncées en Chine. La côte ouest des États-Unis se démarque par d’importants projets en la matière (Californie), et le Texas n’est pas en reste. En Amérique la­tine, de nouvelles installations naissent au Pérou et au Chili majoritairement poussés par les besoins de l’industrie minière, tandis qu’au Mexique la demande d’eau dessalée vient plutôt de la population” complète le rapport de l’IFRI. Sans parler des zones insulaires qui, pour la plupart, se démarquent par leur besoin élevé en eau dessalée, devenue bien souvent la seule solution à leur besoin vital en eau douce.

OÙ EN EST-ON DU DESSALEMENT EN FRANCE ?

Si la France n’apparaît pas dans ce vaste palmarès des utilisateurs du dessalement, c’est qu’elle n’a pas (encore ?) choisi de s’engager sur cette voie. Seule exception, les départements ultramarins qui, pour beaucoup, connaissent depuis quelques années une réelle “crise de l’eau”, Mayotte en étant récemment l’illustration la plus criante. Mais les quelques usines installées sur différentes îles d’Outre-Mer sont loin de tourner à plein régime, souvent en raison de leur mauvais entretien, d’une déperdition importante de l’eau dans des canalisations défectueuses, ou bien encore à cause des ouragans dévastateurs mettant les installations à rude épreuve.

Sur le continent, si la réalité du stress hydrique commence à toucher certaines régions, la France privilégie pour l’heure la gestion de ses ressources conventionnelles et la préservation des écosystèmes. En raison de ces considérations environnementales et des coûts associés, les projets de dessalement ne font pas l’unanimité et ont parfois été abandonnés, comme à Nice ou Monaco.

Pour autant, certaines communes commencent à expérimenter ces solutions. À chaque fois, ce sont de petites unités locales, les plus autonomes possibles. Port-Vendres (Pyrénées Orientales) utilise depuis avril 2023 un “dessalinisateur d’eau de mer à énergie solaire Aquaviva” (développée par la société Texep) capable de produire 10 000 litres d’eau douce par jour dont la municipa­lité entend se servir pour le nettoyage de sa voirie, ou bien encore au profit de ses nombreux exploitants viticoles. Cet été 2023, le port de Saint-Cyprien a, quant à lui, accueilli une unité Osmosun pour alimenter un ponton dédié au nettoyage à l’eau douce des bateaux sans recourir au réseau municipal. D’une capacité de production quotidienne d’environ 5 m3, l’unité permet de nettoyer entre 60 et 80 bateaux par jour.

En octobre 2022, le village de Rogliano au Cap Corse a lui aussi franchi le pas, suite à la crise de sécheresse exceptionnelle et pour répondre aux besoins en eau potable de sa population qui passe de 650 âmes l’hiver à 6 000 résidents l’été ! La préfecture de Haute Corse a même dû activer une procédure d’urgence pour autoriser l’installation sur le port de l’uni­té de dessalement fournie par la société marseillaise Nomado et produire ainsi 500 m3 d’eau douce chaque jour. Le même cas d’urgence s’est produit en 2022 sur l’île de Groix dans le Morbihan, où les besoins quotidiens en eau potable passent de 500 à 1 200 m3 l’été ! Pourtant en 2023, l’île n’a pas eu recours à cette unité de dessalement temporaire, jugée coûteuse et potentiellement impactante, et privilégie avant tout la sobriété dans l’usage de la ressource conventionnelle.

La problématique de l’eau douce est aussi une réelle préoccupation lorsque des territoires insulaires en sont totalement dépourvus. C’est le cas de l’île de Sein, au large du Finistère, qui fut la première à dessaler son eau dans les années 70 grâce à un bouilleur. En 2002, deux unités de dessalement par osmose inverse ont pris place au pied du phare, conçues et fabriquées par l’entreprise lorientaise SLCE, et capables d’alimenter les 300 abonnés de l’île (facturés 7,55 € le m3 contre 3 € sur le conti­nent) et les 2 000 estivants annuels.

Le dessalement, une fausse bonne solution ?

Rares sont les activités industrielles qui n’ont pas d’impact pour l’environnement et le dessalement d’eau de mer, hélas, ne fait pas exception. Du reste, des études poussées mesurent, évaluent et pointent du doigt les différentes problématiques engendrées par cette activité, à la fois sur l’environnement marin et côtier, sur son caractère énergivore dont on mesure désormais l’impact climatique, mais également sur le coût de telles installations et par voie de conséquence sur le prix de l’eau douce produite.

DU DESSALEMENT À LA SAUMURE : CERCLE NON VERTUEUX

Le processus de dessalement implique des prélèvements importants d’eau de mer. Le ratio peut varier selon le procédé utilisé, mais, en règle générale, pour produire 1 litre d’eau douce, il faut prélever entre 1,5 et 2,5 litres d’eau de mer. Le reste est constitué d’une saumure qui est évidemment beaucoup plus chargée en sels que l’eau de mer initiale. Sans parler des restes de substances détartrantes, antibactériennes, antimousses, antisalissure… injectées dans les circuits.

Très longtemps sous-estimées, les rejets cumulés des usines de dessalement dans le monde ont été évalués par une équipe internationale de chercheurs : 141,5 millions de m3 de saumure par jour, soit près de 52 milliards de m3 par an étaient ainsi déversés par 15 900 usines (étude faite en 2019). Aujourd’hui, avec près de 23 000 installations, on peut aisément imaginer que ce chiffre déjà faramineux a évolué en proportion !

L’impact du rejet sur son milieu dépend des caractéristiques hydrologiques locales et des flux marins. En effet, il ne sera pas le même dans les récifs coraliens des Maldives que dans les océans. Mais selon un rapport des Nations Unies, 80 % de ces rejets sont faits à moins de 10 km des côtes ! Si elle est rejetée dans des zones côtières sans précautions ni mesures adéquates, non seulement la saumure accroît localement la salinité et donc la composition chimique de l’eau – qui peut entraîner des perturbations dans la reproduction, la croissance et la migration des espèces – mais, plus dense, elle s’amasse sur les fonds, affectant gravement les habitats benthiques et toute la vie marine qui en dépend. Les restes de substances chimiques entraîneraient en outre une acidification du milieu, seraient toxiques pour le phytoplancton, tandis que les produits antitartres serviraient à l’inverse d’éléments nutritifs induisant des proliférations d’algues. Certains résidus, bioaccumulables, pourraient se retrouver très concentrés dans les poissons et la chaîne alimentaire. Enfin, si l’on a recours à la distillation, l’eau salée rejetée est aussi beaucoup plus chaude que celle de la mer. Pour atténuer ces impacts, une gestion responsable de ces rejets est cruciale, soumise au protocole “Tellurique” de la Convention de Barcelone à laquelle ont adhéré les pays européens côtiers de la Méditerranée. Elle prévoit des valeurs limites de rejets (sels, chlorine, température, etc.) et aussi l’obligation de réaliser une étude d’impact avant la construction de l’usine. Mais beaucoup d’efforts restent nécessaires pour promouvoir des technologies de dessalement bien plus respectueuses de l’environnement.

UNE INDUSTRIE ENCORE TROP ÉNERGIVORE…

Soyons clair ! Pour dessaler de l’eau de mer, il faut… beaucoup d’énergie ! Les procédés de dessalement thermique consomment, selon les méthodes utilisées, entre 7 et plus de 27 kWh par m3 d’eau dessalée. En revanche, le développement de nouvelles membranes et les équipements de récupération de l’énergie de pression, ont permis de réduire au moins par 10 les besoins énergétiques du dessalement par osmose inverse, se situant aujourd’hui entre 2,5 et 3 kWh/m3. C’est la raison pour laquelle cette technologie de dessalement est devenue la plus utilisée dans le monde (plus de 80 % des usines).

Il n’en reste pas moins vrai que cette activité émet d’importantes émissions de gaz à effet de serre aggravant ainsi les problèmes liés au changement climatique. Le rapport de l’IFRI confirme que “le dessalement de 1 000 m3 (un million de litres) par jour consomme l’équivalent approximatif de 10 000 tonnes de pétrole par an” ! En outre, chaque année, le secteur du dessalement émet au moins 120 millions de tonnes de CO2. D’après une étude de la Banque mondiale, si rien n’est fait pour rendre le secteur plus durable, il pourrait d’ici 2050 en émettre 280 millions supplémentaires – soit l’équivalent du volume des émissions françaises en 2021.

Cet impact semble tout de même préoccuper les géants du secteur qui s’engagent peu à peu dans la décarbonation de leurs activités. En témoigne cet accord signé en juillet 2022 par TotalEnergies et Veolia pour démarrer la construction du plus grand système solaire photovoltaïque (PV) destiné à alimenter une usine de dessalement à Oman, dans la ville de Sur. Mais, en raison de leur dépendance à l’ensoleillement et aux conditions météorologiques, l’utilisation des énergies renouvelables – solaire et éolien essentiellement – reste à ce jour anecdotique fournissant à peine plus de 1 % de l’énergie nécessaire au dessalement.

… ET DONC ENCORE TROP CHÈRE

Les installations de dessalement nécessitent des investissements colossaux pour la construction et la mise en place des technologies nécessaires, ce qui peut représenter un obstacle majeur pour les pays ou les régions aux ressources financières limitées. Considérant que, plus l’usine est importante plus les coûts de dessalement diminuent, le coût moyen d’un m3 varie de moins de 50 centimes d’euro dans les installations géantes à plus de 1,20 euro pour les plus modestes. En nette baisse depuis dix ans, l’eau dessalée revient cependant deux fois plus cher que celle traitée dans une station d’épuration avant d’être réutilisée, et quatre fois plus que celle émanant d’une rivière. Le coût de maintenance constitue une part importante en raison de la corrosion des matériaux au contact permanent avec le sel. Enfin, la dépendance pour alimenter les installations de dessalement peut rendre cette solution vulnérable aux fluctuations des prix de l’énergie.

Alternatives : des start-ups françaises dans la course

Si la France avance à pas prudent dans le dessalement d’eau de mer, c’est pourtant sa puissance industrielle qui construit en grande partie l’avenir de ce secteur, plus encore depuis la récente fusion de Suez et Veolia qui conforte la position de leaders mondiaux qu’occupaient historiquement ces deux groupes. Pourtant, depuis quelques années, des start-ups émergent et travaillent au développement d’alternatives innovantes qui placent au premier plan la réduction des impacts énergétiques et environnementaux. En voici trois exemples inspirants.

SEAWARDS : UN PROJET PLEIN DE FRAÎCHEUR !

“C’est courageux aujourd’hui de faire un dossier sur le dessalement parce que c’est presque devenu un gros mot”, ironise en guise d’introduction Hubert Montcoudiol, le cofondateur de Seawards. Lui qui revient tout juste de la COP28 – LE rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte – en mesure parfaitement les enjeux stratégiques. Et pour y répondre, la jeune entreprise, créée en 2021, apporte sa solution inédite sur le marché. “Le principe de la cryo-séparation n’est pas nouveau, mais nous sommes aujourd’hui les seuls à avoir modéliser ce procédé pour l’industrialiser, précise Hubert Montcoudiol. Notre technologie consiste donc à glacer l’eau de mer prélevée puis à séparer par centrifugation l’eau douce cristallisée de l’eau salée encore liquide, sachant que l’eau pure se cristallise à 0°, tandis que l’eau salée ne gèle qu’à partir de -2°C”.

Se posant en alternative à l’osmose inverse, cette technologie brevetée offre donc les promesses d’être moins énergivore : “Le pic énergétique intervient au lancement du cycle lorsque nous prélevons l’eau de mer à 15° en moyenne pour la faire descendre à -2°. Mais on a des échangeurs thermiques qui nous permettent de récupérer des frigories (unité mesurant le froid – NDLR) en sortie de production pour les réinjecter au départ. Par ailleurs, il est capital pour nous de développer une technologie capable de fonctionner avec des ENR sans altérer la stabilité de la production”. Moins polluante : “Le ratio est de 10 % d’eau cryo-séparée récoltée pour 90 % d’eau salée rejetée, ce qui signifie que nous respectons parfaitement “le pacte de Barcelone” qui admet que si la salinité de l’eau rejetée ne dépasse pas 10 % de la salinité de l’eau pompée initialement, il n’y a aucun effet de concentration nuisible pour l’environnement marin. L’autre point essentiel est que nous ne rejetons aucun produit chimique puisque notre technologie n’en nécessite pas l’utilisation”. Moins coûteuse : “À terme, notre ambition est de produire avec une rentabilité énergétique optimale aux alentours des 2 kW par m3 ce qui nous place légèrement en-dessous du coût énergétique de l’osmose inverse. Mais la vraie différence se jouera sur le coût de maintenance et d’entretien qui aujourd’hui représente 40 % des installations existantes et qui pour nous sera bien moindre”. Plus adaptable aux différents besoins : “Notre objectif premier, pour les 4 prochaines années, c’est de livrer des unités capables de fournir entre 500 et 50 000 m3 par jour ce qui déjà répond à beaucoup de besoins dans beaucoup d’endroits. Mais on ne s’interdit rien sur des projets de plus grande envergure”.

La prochaine étape pour Seawards est de lancer, d’ici l’été 2024, le premier prototype en environnement réel qui sera suivi, début 2025, par l’installation d’un démonstrateur sur le Grand Port de Marseille et la mise en œuvre de la phase de production.

OSMOSUN RAYONNE

L’innovation proposée par la gamme Osmosun ne porte pas sur le procédé à proprement parler puisque l’entreprise Mascara NT se positionne sur la technologie bien rodée de l’osmose inverse depuis sa création en 2014. Mais pas à n’importe quel prix, selon la vision de ses cofondateurs désireux, eux aussi, d’appor­ter une eau potable “bas carbone” pour la rendre accessible aux populations assoiffées ! Et c’est là toute son originalité puisqu’Osmosun a développé une “solution brevetée unique, économique, propre et durable […] qui fonctionne à l’énergie solaire et sans batterie”. “L’énergie solaire est, par nature, une production qui fluctue en permanence. En revanche, l’osmose inverse est un procédé qui nécessite une énergie constante… Donc en théorie, la combinaison des deux semblait incompatible, explique Maxime Therrillion, le directeur commercial d’Osmosun. L’originalité de notre technologie a été d’apporter un certain nombre d’adaptations technologiques pour permettre un fonctionnement totalement autonome grâce à une alimentation en solaire photovoltaïque – donc à puissance variable au fil du soleil – sans altérer les niveaux de pression requise pour le procédé membranaire. Mais pour garantir une production permanente, nous avons développé des solutions hybrides intégrant différentes sources d’énergie, notre ambition, pour ne pas dire notre ADN, étant de proposer des solutions les plus neutres possibles pour l’environnement… et forcément moins coûteuses en frais de production”.

À ce jour, Osmosun propose une gamme de solutions adaptées à tous les besoins, depuis des petites unités produisant quelques m3 par jour (comme celle installée dans le port de Saint-Cyprien), jusqu’aux unités capables de fournir quotidiennement jusqu’à 50 000 m3. Installées à Bora Bora, au Cap-Vert ou encore à Madagascar, ces solutions sont particulièrement adaptées aux besoins des territoires insulaires qui ont, pendant un temps, été jusqu’à envisager l’approvi­sionnement en eau douce par bateau.

Cette offre alternative séduit et fonctionne, comme en témoigne le développe ment significatif de l’entreprise qui ne joue plus dans la cour des start-ups mais plutôt dans celle des PME dynamiques qui ont plus de 30 salariés, un chiffre d’affaires d’environ 4 M€ et une entrée en Bourse en juillet 2023 sur le marché Euronext Growth. À ce jour plus d’une soixantaine d’unités de dessalement Osmosun sont implantées dans une trentaine de pays, l’équivalent d’environ 3 millions de m3 d’eau produits… et 4 821 tonnes de CO2 épargnées !

HELIO WATER : LA SPHÈRE, LE SOLEIL ET LA MER !

Lorsque Thierry Carlin s’est lancé le défi d’apporter une solution de dessalement innovante aux populations en manque d’eau potable, Marine Tech – son bureau d’études spécialisé dans l’environnement marin – est parti d’une page blanche avec deux axes pour ligne de conduite : trou­ver un procédé vertueux pour l’environnement, accessible et simple pour les utilisateurs. “Nous avons travaillé sur le principe de la distillation solaire en cherchant la meilleure interprétation fonctionnelle et minimaliste. Et nous en sommes arrivés à ce système de sphère, compacte et 100 % autonome fonctionnant exclusivement avec l’énergie solaire, que nous avons brevetée sous le nom d’Helio, désormais rattaché à notre nouvelle filiale Helio Water” résume Thierry Carlin. Grâce à une pompe alimentée par un panneau solaire intégré au module, l’eau à traiter (de mer, ou de toute autre provenance, rivière, lac, pluie…) est acheminée jusqu’au plateau situé au centre de la sphère. Grâce au rayonnement direct du soleil et au panneau réflecteur placé en-dessous, l’eau s’évapore par effet de serre, se condense au contact des parois pour former de gouttelettes d’eau pure, laquelle ruisselle pour être récupérée en partie basse du globe. L’apparente simplicité du principe est en fait le fruit de 6 années de recherche et développement pour faire aboutir cette technologie inédite, réalisée avec des matériaux recyclables dont la durée de vie est garantie 30 ans !

En phase de commercialisation, le système Helio est donc en capacité de produire 10 litres d’eau potable toutes les 6 à 8 heures d’ensoleillement. Chaque unité peut satisfaire au besoin quotidien d’une famille de 5 personnes, mais l’ambition d’Helio Water est bel et bien de voir plus grand. “Nous avons conçu notre système précisément pour pouvoir assembler autant de modules que les besoins le nécessitent. Donc nous pouvons composer de véritables fermes Hélio permettant d’alimenter en eau potable des communautés totalisant plusieurs centaines, voire milliers de personnes”, précise Thierry Carlin. Assurément écologique et carrément économique, cette solution Helio Water (dont on peut visiter la ferme témoin installée sur le port de La Seyne/Mer jusqu’en juin 2024), a de quoi susciter l’intérêt de nombreux acteurs qui apprécient cette approche presque “humanitaire” sur un secteur dominé par des colosses industriels. “Nous n’avons ni la prétention, ni la volonté d’être une alternative ou de se substituer à des usines de dessalement. Notre vocation est de créer en quelque sorte des oasis artificielles et d’apporter de l’eau potable destinée prioritairement à la consommation des populations et non à leurs autres usages quotidiens. C’est ce qui nous différencie et renforce la raison d’être de notre projet à l’heure où, partout dans le monde, de plus en plus de personnes meurent de soif”, conclut Thierry Carlin.