La rade de Brest, véritable joyau naturel breton, est une magnifique baie située dans le Finistère, en Bretagne. C’est l’une des plus grandes rades d’Europe, offrant un paysage maritime spectaculaire. Elle abrite une biodiversité marine exceptionnelle et insoupçonnée. Connue pour ses fonds marins riches et variés, la rade offre un terrain de jeu d’environ 180 km2, idéal pour les amateurs de pêche, qu’ils soient novices ou expérimentés. On y trouve plus d’une centaine d’espèces recensées. Parmi elles se distingue un poisson à la fois fascinant et prisé par les pêcheurs sportifs, l’émissole tachetée.
On trouve ce petit requin principalement dans l’estuaire de l’Aulne Maritime, bien connu pour son site unique du cimetière de navires militaires en attente de démantèlement, dans l’un de ses méandres, à Landevennec. Véritable attraction touristique, cet espace est à l’abri du vent du fait de ses hautes falaises, et se situe toujours à au moins 10 mètres de profondeur, quelle que soit la marée.
Plongeons-nous au cœur de cette pêche, accessible à tous, en explorant ses spécificités, le matériel et les techniques recommandées, et l’étude menée pour mieux connaître l’écologie de ce petit requin vivant dans les eaux bretonnes.

L’ÉMISSOLE TACHETÉE, UN REQUIN MYSTÉRIEUX !
Avant d’aborder les techniques de pêche, parlons de l’émissole tachetée (Mustelus Asterias), cette espèce de petit requin que l’on trouve près des côtes Atlantique Nord Est et Méditerranéenne. Ses habitudes de chasse et de déplacement en meute lui vaudrait aussi son surnom de “chien de mer”.
Avec son corps fin et très allongé, on la reconnaît à sa couleur qui varie du brun-gris au gris ardoise, avec une présence de tâches claires diversement placées sur la zone dorsale et le long de sa ligne latérale. Elle vit principalement près du fond, crabivore à 95 %, et peut mesurer jusqu’à 1m20 pour les mâles et 1m40 pour les femelles. Pouvant évoluer jusqu’à des profondeurs de 300 m, ses habitudes et la raison de sa présence en grand nombre dans les zones estuariennes restent encore assez méconnues. L’une des hypothèses correspondrait à une période de gestation et de mise bas, la capture de spécimens mâles y étant exceptionnelle.
L’émissole tachetée atteint sa maturité sexuelle à l’âge de 2 ou 3 ans. Comme de nombreuses autres espèces de requins, elle est vivipare, donnant naissance à des petits déjà formés mesurant entre 30 et 40 cm après une gestation de 10 à 12 mois.

UN REQUIN TOTALEMENT INOFFENSIF POUR L’HOMME
Afin d’améliorer les connaissances sur cette espèce, quasi-menacée au niveau mondial depuis 2021 et au niveau européen depuis 2015, l’APECS (Association pour l’Étude et la Conservation des Sélaciens) lance le programme Mustellus en 2018, avec pour objectif de marquer de nombreuses émissoles tachetées dans différents secteurs des eaux françaises. Depuis 2021, des pêcheurs loisirs volontaires sont mobilisés pour marquer des émissoles.
Cette initiative est une très belle occasion pour les pêcheurs récréatifs de devenir acteurs de la préservation de cette espèce. Il est également important de sensibiliser tout un chacun sur ces actions et l’importance de la transmission d’informations en cas de recapture.

OÙ ET QUAND PÊCHER L’ÉMISSOLE ?
Les zones de pêche pour les pêcheurs de loisirs se concentrent principalement sur les zones d’estuaire – par exemple la rade de Brest et le golfe du Morbihan –, sur des fonds sablonneux, vaseux et parfois rocheux, zones dans lesquelles l’émissole tachetée va pouvoir se nourrir de son mets préféré, le crabe. Elle reste malgré tout opportuniste et n’hésitera pas à varier son alimentation avec une gambas ou une lamelle de céphalopode au bout de votre hameçon, inutile, en revanche, d’insister avec un leurre.
La période de capture correspond surtout à la période de météo propice pour une sortie en mer, c’est-à-dire de début mai à fin septembre. Il reste malgré tout possible d’en capturer tout au long de l’année, avec des concentrations variables selon la saison et la température de l’eau.
Que ce soit en pêche au posé, ou en dérive, il faut se concentrer sur les bordures de chenaux et les encaissements bien visibles sur les cartographies marines. En rade de Brest, cela se traduit par une pêche dans des fonds entre 10 et 20 m. L’émissole est un poisson qui se déplace au gré des marées, les postes peuvent donc changer tout au long de la journée.

L’APPÂT ROI, LE CRABE !
L’émissole tachetée se nourrit principalement de crabe, qu’il soit vert ou rouge. La quête de cet appât est l’occasion idéale d’une sortie en famille sur l’estran, à marée basse, pour préparer sa pêche du lendemain. Il vous suffira de vous munir d’un seau, d’une épuisette et de gants si vous craignez de vous faire pincer. Les crabes se cachent sous les rochers et les algues, la bonne pratique consistant à remettre en place ce que vous déplacez pour ne pas nuire au fragile écosystème marin. La taille idéale des crabes se situe entre 3 et 5 cm (taille de la carapace), les plus gros crabes pouvant tout à fait être coupés en deux.

LE MATÉRIEL
L’émissole est un poisson puissant qui ne se soumet pas facilement à la remontée de la couche d’eau. Peu importe sa taille et son poids, ce petit requin est combatif, n’hésitant pas à mettre de beaux rushs. Arrivée à la surface, il n’est pas rare qu’à la vue du bateau, elle décide de regagner le fond en faisant chanter le moulinet sans vous en laisser le choix. C’est finalement elle qui décide à quel moment elle se laissera glisser dans le filet de votre épuisette.
Pour un bon compromis de plaisir de combat et de réserve de puissance, une canne de puissance 10-20 lbs est idéale. Le scion doit être relativement sensible afin de bien garder contact avec le porte-appât pour ferrer au bon moment si vous privilégiez la technique du tenya. En bateau, une longueur de canne entre 2m10 et 2m30 est parfaite. Un moulinet de taille 4 000, garni d’une tresse 8 brins en PE 1.5 ou de 0,21mm, sera impeccable pour cette pêche.
Selon la nature du fond, si celui-ci est relativement accidenté, il est conseillé d’ajouter une tête de ligne de 5 m en fluorocarbone en 40/100e pour éviter que la tresse, peu résistante à l’abrasion, s’abîme au contact des roches ou coquillages tranchants..

LES TECHNIQUES DE PÊCHE
En bateau, deux techniques de pêche sont parfaitement adaptées à la pêche de ce petit requin : le posé, en restant statique grâce à une ancre ou un moteur électrique, et le tenya, plutôt adapté à une pêche prospective en dérive grâce au courant, il faudra privilégier des coefficients suffisants pour cette dernière.
> Pour la pêche au posé, le montage est très simple. Le principe est de présenter un crabe, idéalement vivant, au-dessus du fond. L’appât ne doit présenter aucune résistance lorsque l’émissole vient s’en saisir, d’où le choix d’un montage coulissant. Ce montage est constitué d’un mini-coulisseau transparent, qui participe à la discrétion du montage, que l’on enfile sur la tête de ligne, amorti par une perle molle de 6 mm pour préserver le nœud raccord à l’émerillon rolling. Selon la profondeur et la force du courant, l’utilisation d’un plomb entre 80 et 150 gr sera parfait. Le bas de ligne, en fluorocarbone d’un diamètre situé entre 35 et 40/100e, d’une longueur d’environ 80 cm-1 m, se termine par un hameçon cercle (circle hook) d’une taille de 3/0 ou 4/0 destiné à escher le crabe.
Pour ce type de pêche, l’utilisation d’un hameçon cercle présente de nombreux avantages. L’émissole peut être tatillonne en recrachant plusieurs fois le crabe avant de l’avaler, l’hameçon cercle est auto-ferrant et viendra alors se positionner naturellement dans la commissure de la bouche, protégeant ainsi le poisson et le bas de ligne. L’émissole n’a pas de dents acérées comme nombre de ses cousins, mais ses dents plates adaptées pour broyer leurs proies, peuvent en effet fragiliser le bas de ligne. La forme de l’hameçon, avec son ardillon rentrant, limitera aussi les décrochages pendant le combat.
Il est important de proscrire les hameçons inox, qui ne sont pas corrodés par l’eau de mer, pour cette technique de pêche. En effet, malgré toutes les précautions, il peut arriver que l’émissole avale l’appât et que l’hameçon soit piqué en profondeur, à la limite de son estomac. Il est alors très difficile, voire impossible, de le retirer sans risquer de la blesser mortellement. Il faut alors couper le bas de ligne au plus près de l’hameçon, et laisser la corrosion dégrader rapidement et naturellement l’hameçon.
L’eschage du crabe est très simple : il suffit de positionner l’hameçon, ardillon vers le haut, à l’arrière du crabe pour le garder vivant et appétant le plus longtemps possible. L’attente de la touche peut se faire canne posée dans le porte-canne ou en main, le frein du moulinet desserré. À la touche, grâce à l’hameçon cercle, il faut attendre que l’émissole se ferre seule en resserrant progressivement le frein, un ferrage manuel ayant pour seul effet de ressortir l’hameçon de sa bouche.
> Pour la pêche au tenya, plus dynamique, le montage utilisé est très classique. Comme pour la pêche au leurre, un bas de ligne de 35 ou 40/100e, d’une longueur de 1 à 2 m, est raccordé à la tresse via un nœud de raccord, type FG. L’eschage de l’appât est différent puisque le tenya est composé de 2 hameçons, le porte appât, et l’assist hook destiné à piquer le poisson. Pour une meilleure tenue du crabe, il est possible d’utiliser du fil à ligaturer.
Dans les zones de courant, le choix d’un tenya à profil rond est idéal pour une descente rapide. Il suffit de le laisser descendre à la verticale du bateau, jusqu’au contact avec le fond. En décollant légèrement le tenya du fond, la bonne présentation du crabe suggère un angle de la ligne à 45 degrés du bateau. Le choix du grammage est donc important ; trop lourd, le tenya restera à la verticale avec une mauvaise présentation de l’appât ; trop léger, il sera difficile de rester en contact ou légèrement au-dessus du fond, sans compter que le crabe a une importance prise à l’eau. Dans les fonds de 10 à 20 m, par des coefficients entre 60 et 80, on utilise généralement des grammages entre 30 et 50 gr. Le coloris du tenya a, quant à lui, peu d’importance.
À la différence de la pêche au posé, la pêche se fait canne à la main. Les touches de l’émissole ne sont pas toujours franches. Très souvent, elle attaque à plusieurs reprises le crabe, il faudra donc un maximum de concentration et attendre le bon moment, parfois en rendant un peu la main, pour qu’elle sente le moins de résistance possible, pour finir par ferrer énergiquement pour faire pénétrer l’assist hook au bord de sa bouche.

BIEN MANIPULER L’ÉMISSOLE
L’émissole, comme tous les requins, est un poisson cartilagineux, plus fragile que les os, mais beaucoup plus flexible, lui permettant des virages très serrés. Pour une remise à l’eau en bonne santé, il est impératif de la manipuler avec précaution, ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu de sa musculature et de sa vivacité. L’émissole est un poisson résistant hors de l’eau, il est inutile de se précipiter pour la manipuler au risque de faire des erreurs.
Tenir une émissole uniquement par la queue risque de la blesser. L’utilisation d’une épuisette est donc recommandée pour la sortie de l’eau. Une fois à bord, le retrait de l’hameçon doit être fait délicatement en la maintenant fermement. Vous pouvez la mettre sur le dos, ce qui a pour effet de la calmer. La bonne pratique consiste à la manipuler en la soulevant à deux mains, l’une à la base de la queue, et l’autre en dessous du corps, que ce soit pour une belle photo souvenir ou la remise à l’eau.
Il arrive également parfois que les requins retournent une partie de leur estomac à l’extérieur de leur bouche (phénomène utilisé pour recracher des objets indigestes). La majorité du temps, l’animal inverse rapidement le phénomène et cela n’a aucun impact sur sa santé.

LE CONFORT DU MOTEUR ÉLECTRIQUE
Que ce soit au posé ou en dérive, l’apport du moteur électrique est non négligeable. Il permet de faire des approches discrètes, de s’ancrer virtuellement même en plein courant, et de se positionner de manière très précise à l’endroit souhaité. En dérive, il permet de contrôler sa vitesse, de corriger la trajectoire de la dérive pour se positionner au plus juste de la pêche. Une fois le poisson localisé, il permet tout simplement d’optimiser sa pêche. Si vous hésitiez encore à investir dans ce type d’équipement, alors n’hésitez plus, cet accessoire va vous faciliter la vie !

Le programme MUSTELLUS
Le projet consiste à marquer de nombreuses émissoles tachetées dans différents secteurs des eaux françaises, notamment en mobilisant, depuis 2021, des pêcheurs volontaires afin d’améliorer les connaissances sur l’écologie de l’espèce. Les objectifs sont les suivants : mieux comprendre les déplacements des émissoles tachetées à l’échelle des eaux Atlantique et de Manche et identifier d’éventuelles voies migratoires, localiser les zones que l’espèce utilise pour des moments clés de son cycle de vie – reproduction, croissance des jeunes, alimentation – et définir l’importance des zones estuariennes, amener les pêcheurs loisirs à modifier leur pratique et privilégier la remise à l’eau des émissoles, et, pour finir, sensibiliser les pêcheurs professionnels. Une marque passive est posée sur chaque individu pêché à la canne et différentes données sont relevées pour être transmises à l’association : le numéro de la marque, la date et l’heure de pêche, la profondeur, le sexe, l’espèce en vérifiant la présence de tâches, la longueur, le poids, les coordonnées GPS du lieu de capture, ainsi que toute observation utile comme une particularité physique (blessure, malformation, animal faible…), ou encore un hameçon laissé au fond de la bouche.
En 2024, près de 750 émissoles tachetées ont été marquées en rade de Brest et 13 ont été recapturées. En cas de recapture, il est important de noter le numéro de la marque, la date de capture, les coordonnées GPS du lieu de capture et sa taille, puis de contacter l’APECS au 06 77 59 69 83 ou envoyer un mail à asso@asso-apecs.org . Prenez des photos et, si l’individu est vivant, relâchez-le avec sa marque. Vous souhaitez devenir acteur dans la préservation de l’émissole tachetée ? N’hésitez pas à contacter l’association.
Présentation de l’APECS
L’APECS (Association Pour l’Étude et la Conservation des Sélaciens) est une référence dans le combat pour la protection des requins et des raies. Leur expertise et le résultat de leurs études en font un véritable porte-parole auprès des instances dirigeantes. Depuis plus de 20 ans, l’APECS se mobilise pour protéger, préserver et mettre en valeur ces espèces et leurs habitats.
En effet, les requins et les raies sont des espèces particulièrement vulnérables, menacées par la surpêche, la pollution et les changements climatiques. Elles nécessitent plus que jamais d’être protégées.