Nous sommes fin septembre. La fin de saison de la pêche du thon rouge approche. Nous convenons d’un rendez-vous pour effectuer une sortie au large afin de pêcher au vif ce poisson qui nous fait tant rêver. Mon ami Foucauld, responsable du marketing chez Penn pour la partie Sud de l’Europe, me retrouve au port pour embarquer. Les conditions annoncées ont changé et ne sont pas optimales. Le vent de sud est modéré (15 nœuds) et nous sommes touchés par les restes d’une houle cyclonique de 1 mètre 50 à 2 mètres 30. “Ça risque de tanguer les gars !!!”…

LA PÊCHE DU VIF
Nous faisons route vers le large, mais la mer agitée rend la navigation pénible. Dans ce chaos marin, la mission première est de trouver les vifs. Avec l’expérience, nous ciblons des plateaux avec des pointes rocheuses marquées. Le bateau est bien équipé, deux HDS12 Live de chez Lowrance permettent de localiser rapidement les poissons. Dès les premières dérives, de gros chinchards viennent nous rendre visite. Même si nous privilégions plutôt les jolis maquereaux, communs ou espagnols, nous en gardons quelques-uns tout de même dans le vivier. Pour cette pêche en verticale, nous utilisons des cannes casting ultra-sensibles, l’idée étant de prendre un maximum de plaisir… Elles rendent les touches et le combat extrêmement ludiques. Selon moi, il faut privilégier deux couleurs de plumes, les blanches pour les eaux claires, les jaunes et rouges pour les eaux plus tintées. Après quelques passages, les poissons peuvent bouder les plumes ; il sera alors le moment de sortir les micros jigs afin de déclencher à nouveau des touches de poissons souvent bien plus jolies d’ailleurs. Nous visons alors les extérieurs où les échos sont moins marqués et parvenons à en attraper encore quelques-uns dans cette horde de chinchards hystériques. Après un petit clin d’œil de satisfaction, le vivier étant suffisamment chargé, nous décidons d’y aller… Ne perdons pas plus de temps !

LE POSITIONNEMENT ET LE CHOIX DE LA ZONE
La pêche du thon est avant tout une aventure humaine et une histoire d’équipe. Les différentes conversations et les éléments fournis par les amis permettent d’optimiser et de viser les zones d’activité. Les renseignements sont durs à obtenir, il faut parfois traîner tard le soir ou se trouver au bon moment aux heures “intelligentes” pour recueillir quelques éléments parfois déterminants. Les “pirates et les vieux briscards” sont des couche-tard qui aiment relater leurs exploits après avoir partagé quelques gouttes de sirop d’Écosse ou antillais… À force de les côtoyer, nous avons bien compris que la pêche au broumé peut être très efficace et qu’elle peut faire venir et tenir le poisson sur une zone bien précise. La logistique déployée devient alors considérable, il faut pouvoir s’ancrer et se procurer de très nombreux kilos de sardines. Les conditions météorologiques (vent, houle) et les forts coefficients de marée qui animent les eaux Bretonnes nous démoralisent et nous découragent parfois à pratiquer cette pêche qui peut être à la fois complètement dingue et inoubliable, et à la fois difficile et extrêmement frustrante. De plus, les eaux regorgent de différentes espèces de requins qui reniflent rapidement les effluves dégagés par les sardines. En début de saison, les peaux bleues, les requins renards et requins taupes viennent régulièrement découper les vifs et casser les lignes aux premiers morceaux de poissons jetés à l’eau.
Nous concernant, nous préférons plutôt la pêche au vif et tentons de repérer des oiseaux, d’analyser les courants et les différents reliefs qui nous entourent sur les cartographies disponibles. Lorsque la mer l’autorise, nous parvenons à voir les courants de surface (nommés “gourzennes” dans le jargon des marins du coin) et apercevoir parfois quelques thons percer la surface. Avec l’expérience commune, les zones favorables se dévoilent, nous les ciblons précisément et parvenons à prendre les bonnes dérives, du moins nous l’espérons ! Il faut être mobile et ne pas hésiter à se déplacer rapidement si besoin. Comme tout pêcheur moderne, nous rassemblons et étudions les techniques de pêche présentées sur la toile, ainsi que dans les autres régions pour tenter de les adapter à la nôtre. La taille des bas de ligne notamment sera modifiée selon la turbidité de l’eau. Plus l’eau sera claire et plus le bas de ligne sera fin. Compte tenu de la taille des poissons, nous avons du mal à descendre sous les 100 lbs. Nous avons conscience que plus le montage sera discret et plus il y aura des chances d’avoir des départs. L’œil du thon est très affûté, il n’est pas rare de voir le refus des poissons directement à l’échosondeur.

LA MISE EN PÊCHE ET LES MONTAGES
Pour cette sortie, les conditions ne nous laissent pas vraiment le choix, il faut chercher l’activité des oiseaux et, rapidement, ils apparaissent entre deux mouvements de mer. Un groupe de puffins est posé sur l’eau alors que certains passent déjà leur temps à planer sur les crêtes de la houle bien formée en quête de nourriture. Nous effectuons une première dérive afin de récolter des informations (clefs) dans le but de déterminer notamment la stratégie du jour et d’observer la direction prise par le bateau. Une fois positionné et la dérive bien entamée, les lignes sont placées en action de pêche. Foucauld nous a mis à disposition deux cannes Trolling Light en montage spirale, deux Conflict XR Tuna de la marque Penn en 80 lbs, montées avec des moulinets Penn Fathom II Lever Drag 2 Speed en taille 80 munis de tresse Spiderwire Stealth Smooth 8 en 0.39 (105 lbs). La canne est assez souple et relativement courte (1m98, action de type M en puissance H) ; elle permet de pêcher particulièrement avec des bas de ligne plus fins. Nous avons également à disposition une canne Carnage Bluefin Trolling Penn (1m70, roller Aftco, action M, puissance X-H 80-130 lbs) équipée d’un moulinet International 50 Visw avec une tresse de 130 lbs pour une pêche plus forte. Toutes les tresses qui composent ces ensembles sont suivies de nylon afin de garder de l’élasticité sur les combats (Nylon Trilene Big Game de 100 à 150 lbs). Nous relions le nylon à la tresse grâce à une chaussette en dacron, ou plus traditionnellement, avec un long nœud FG. Pour adapter les tailles de bas de ligne en fonction des conditions, nous utilisons également un bas de ligne en fluorocarbone d’au moins 5 mètres, cela permettant d’augmenter la résistance à l’abrasion. Pour ma part, j’effectue un nœud de pêcheur double avec des nœuds tubes entre le shock leader et le bas de ligne en fluorocarbone. Il est bien sûr possible de les raccorder simplement avec un émerillon. Compte tenu de la houle, nous chargeons les lignes avec des plombs de 200 à 300 grammes et privilégions des hameçons “circle” avec rolling montés en catalina pour optimiser la nage du poisson. Le rolling placé sur l’hameçon est très important, il permet à la ligne de ne pas vriller durant le combat avec le poisson.

Les forts mouvements de houle créent des accélérations et font décoller le vif très rapidement dans la hauteur d’eau. Le montage catalina permet alors au vif de nager dans le sens de la dérive contrairement à un maquereau piqué par le dos. Il sera du coup plus résistant et gardera sa vivacité beaucoup plus longtemps. Les hameçons “Circle Fishfighter” de chez VMC sont montés avec un nœud palomar qui garantit une résistance résiduelle importante. Concernant la taille des hameçons, nous les adaptons en fonction de la taille du bas ligne (discrétion du montage) et bien sûr en fonction de la taille du vif – en général du 6/0 ou 7/0 pour des maquereaux communs ou des petits chinchards, et parfois du 8/0 pour les gros maquereaux espagnols. À la touche, avec un frein réglé à 4 ou 5 kilos et surtout sans ferrage, les hameçons viennent se loger tout seuls, la plupart du temps, dans la commissure de la bouche favorisant ainsi une relâche du poisson dans les meilleures conditions. Une fois le montage fait, le vif est mis à l’eau en laissant environ 5 à 6 mètres de fluoro. Puis nous plaçons les plombs à la hauteur d’eau souhaitée en prenant en compte la thermocline qui apparaît sur le sondeur (en général une vingtaine de mètres). Nous terminons enfin par fixer un flotteur afin d’écarter les lignes à différentes distances et à différentes hauteurs d’eau selon les observations. Les lignes les plus profondes seront alors placées toujours au plus loin.

LE DÉROULEMENT DE LA PÊCHE
Il s’agit d’une pêche d’attente, cependant il y a toujours quelque chose à faire. L’observation est importante mais il est aussi possible d’attraper d’autres vifs sur le fond, comme de beaux spécimens de lieu, de merlan ou même de la julienne. Prévoyez juste de bien organiser votre bateau afin de ne rien laisser traîner dans l’attente d’un éventuel départ. Cette pêche est avant tout une affaire d’équipe. Il est bon de définir les rôles à l’avance, les départs de thon peuvent être violents et chacun doit savoir ce qu’il a à faire. Lors des dérives et des phases d’observation, si aucune activité n’est présente (ciel, surface ou fond), il est souvent nécessaire de naviguer pour changer d’endroit et rechercher le moindre signe mettant en évidence la présence de poissons.

LE DÉPART SUIVI DU COMBAT
Le départ est souvent violent et toujours au moment où on s’y attend le moins. Il peut survenir lorsque le fil est entre les mains, au moment où le vif est lâché à l’eau, et parfois au pire moment, à savoir à celui de l’apéro ou du casse-croûte ! Chaque poisson possède un caractère différent et cela se fait ressentir à la touche. Il y a les petits ou les gros nerveux, qui déroulent du fil à n’en plus finir, en surface ou au fond. Ou encore, il y a également les gros pépères qui restent plantés sous le bateau, qui ne veulent pas monter et qui, souvent, ne savent même pas qu’ils sont piqués.
Au cours de cette journée plutôt difficile, nous aurons eu tout de même le plaisir de toucher deux poissons. Le premier, de petite taille (1m30), est venu nous saluer après une bonne heure de dérive. Il nous a surtout permis de tester le nouvel ensemble Conflict XR Tuna. Cette canne légère montée en casting spirale est bien équilibrée avec une bonne réserve de puissance. Elle permet de monter confortablement et assez rapidement le poisson (15 minutes) et de le libérer le plus précautionneusement possible.
Quelques heures après cette prise, nous nous rendons sur une autre zone. Nous remarquons qu’une chasse de thons dépassant les 100 kilos explose à bâbord. Nous effectuons une dérive en visant la zone, mais sans résultat. Les thons sont bien présents mais ils refusent ce que nous leur proposons. Il est alors temps de retourner faire des vifs. Après avoir pris trois ou quatre maquereaux, nous sommes contraints, par une frégate de la Marine Nationale, à changer d’endroit pour des essais de tirs. Devant cet imprévu, nous décidons de nous adapter et de partir pêcher sur un autre secteur où nous avions déjà remarqué de l’activité auparavant.

Le changement de programme ne nous rend pas forcément optimiste. Nous activons alors le mode “nature des fonds” de la cartographie et remarquons des changements de couches sédimentaires, du gravier avec des bancs de sable et quelques langues de roche perdues au milieu d’une large zone composée uniquement de gravière. Nous sommes juste à côté… Nous positionnons le bateau au milieu et à proximité d’un bateau de pêche qui est suivi par quelques mouettes. Des bancs de poissons fourrage apparaissent rapidement au sondeur et cette fois-ci, tout y est ! Surexcité, nous décidons d’entamer une dérive. Après 40 minutes d’attente, alors que nous commencions à perdre espoir, un second poisson nous réveille. Le chant de l’international Penn est encore dans ma tête à l’heure où j’écris ces quelques lignes. Mais quelle musique ! C’est la guerre sur le bateau, le poisson est beaucoup plus puissant que le premier. Il faut remonter les cannes et mettre en route le bateau. Tout en prenant la direction du poisson piqué, nous nous équipons du baudrier. Le poisson a pris au moins 300 mètres de fil ; il y a de la marge, mais il ne faut pas traîner et, après avoir récupéré un peu de tresse, nous mettons un peu plus de frein.

Le combat a commencé et rapidement nous comprenons que le poisson a du caractère, il est teigneux. Il passe du fond à la surface et tourne plusieurs fois. Nous le controns avec le bateau pour effectuer le combat sur l’arrière. Il revient parfois à vive allure pour repartir aussi sec, c’est un sacré sportif, les coups de tête sont relativement puissants. Le pilote doit être attentif et réactif. Nous prenons le temps et parvenons à le mettre au sec en 1 heure et 10 minutes. La joie est immense, la tension se relâche et nous pouvons alors profiter pleinement de l’instant. Le poisson mesure environ 1m70, la fin de saison est là et nous profitons alors pour passer et poinçonner la bague que nous avions en notre possession afin de prélever ce joli spécimen.
La pêche du thon rouge est aussi passionnante qu’addictive. Elle rythme les saisons et permet de se procurer des sensations de pêche exotique. Le thon est un poisson exceptionnel, tant par sa rapidité et son caractère que par ses couleurs et sa taille. Les sensations et les images qu’il laisse alimentent nos rêves les plus fous. Que ce soit au vif, au broumé ou sur chasse, rien n’est acquis, il faut être persévérant et se remettre en question régulièrement. Cette pêche est avant tout une histoire de passionnés, les souvenirs et les images créent un lien particulier entre les pêcheurs et procurent des conversations endiablées pendant des heures. Le moment où le poisson perce la surface est en général celui qui reste gravé à tout jamais dans les esprits, le temps s’arrête et emporte avec lui toutes ces heures d’attente.

UNE ESPÈCE SURVEILLÉE ET UNE PÊCHE CONTRÔLÉE
Depuis quelques années, la pêche du thon rouge est très prisée en France et notamment en Bretagne. Il est bon de savoir que, dans les années 2000, la surpêche fait craindre l’effondrement de la population de cette espèce. En 2001, le WWF (World Fund for Nature), la première organisation mondiale de protection de la nature, initie une grande campagne internationale pour sauver le thon rouge. Depuis 2007, les quotas de pêche sont revus à la baisse, le nombre de navires à senne coulissante a été réduit. C’est à partir de 2014 que l’on note une amélioration de l’état des stocks qui reste cela dit encore fragile. Une réglementation stricte a alors été mise en place pour les professionnels et pour les plaisanciers. En ce qui concerne la pêche de loisir, les inscriptions pour la pratique en no kill ou en kill doivent être effectuées avant la saison (début avril à fin mai) auprès de la DIRM (direction interrégionale de la mer) de sa région. Les déclarations sont effectuées soit par les particuliers soit par les associations de pêche. Les périodes pour pêcher le thon rouge sont limitées. La pratique du pêcher-relâcher est ouverte du 1er juin au 15 novembre et la période au cours de laquelle la capture, la détention à bord et le débarquement sont autorisés, est du 14 juillet au 13 octobre pour l’année 2023. Chaque poisson capturé et embarqué doit être bagué et déclaré auprès de l’administration (FranceAgriMer). Le quota de thon rouge (Thunus thynnus) alloué à la France pour la zone océan Atlantique à l’est de la longitude 45° Ouest et Méditerranée est de 6 693 tonnes pour l’année 2023 dont 67 tonnes allouées à la pêche de loisir soit 1 %..
