Si l’on ose encore s’émerveiller devant les spectacles féériques qui se jouent dans les profondeurs marines, ce monde du silence est pourtant devenu le théâtre d’un des drames les plus criants de l’histoire de l’Humanité. Parce qu’aujourd’hui, un ballet de déchets se substitue fréquemment à celui des poissons. Parce qu’aujourd’hui des algues, des coraux, toutes ces vies visibles et invisibles disparaissent, asphyxiées, empoisonnées, décimées par l’Homme qui n’a pas encore suffisamment mesuré l’irréversibilité de ses actes.
Traiter ce très vaste et complexe sujet de la pollution plastique, qui jonche désormais la totalité des mers du globe, est bien évidemment impossible en quelques pages de cahier. Nous avons très modestement choisi de l’aborder par le prisme plus “ludique” des vocations et des inventions que ce fléau a fait naître ces dernières années pour tenter de le combattre *. Sans douter des nobles intentions qui les animent, cet espoir de dépolluer les océans relève-t-il d’une forme de réalisme ou d’une pure fiction ?
État des lieux de la pollution plastique des mers : une très lourde addition !
Il y a tant à dire sur le plastique, la meilleure comme la pire invention de notre siècle, source d’enjeux économiques et industriels inestimables, symbole d’une consommation jetable à outrance, cause majeure d’un véritable désastre environnemental à l’échelle planétaire. Mais l’heure n’est plus aux débats rhétoriques. Le constat est là, les études le prouvent, les chiffres ne transigent plus avec la moindre alternative. Il n’est plus temps de s’en émouvoir mais d’en prendre clairement conscience !
150 000 000 000 kilos (ou 150 millions de tonnes)
Ce sont les déchets plastiques qui polluent les océans de la planète (chiffres 2015). On estime que 8 millions de tonnes en moyenne s’y rajoutent chaque année (15 tonnes par minutes !).
+ 41 %
C’est l’augmentation, d’ici 2030, de la production mondiale de déchets plastiques, selon le rapport publié par WWF en mars 2019 (448 millions de tonnes produits en 2015) ! La quantité accumulée de déchets plastiques dans l’océan pourrait doubler en 10 ans et atteindre 300 millions de tonnes (soit le double de la situation actuelle !).
1 %
C’est le pourcentage des macro-plastiques à la surface des océans. 75 % gisent dans les profondeurs et/ou se désagrègent. On estime ainsi à 500 milliards le nombre de “morceaux de plastique” et à 5 milliards le nombre de micro-plastiques (moins de 5 mm) qui flottent dans les mers. 24 % des déchets plastiques échouent sur les côtes littorales.
1,6 millions de km2 (soit 3 fois la taille de la France)
C’est la surface du “Great Pacific Garbage Patch” (littéralement “grande plaque d’ordure du Pacifique”). Situé entre Hawaii et la Californie, il constitue le plus grand des 5 vortex * ces zones d’accumulation de déchets et particules plastiques formées sous l’effet des gyres océaniques (tourbillons d’eau constitués d’un ensemble de courants marins).
80 %
C’est la part de la pollution plastique dans l’océan d’origine terrestre dont l’essentiel est charrié par les fleuves et les cours d’eau. 1,15 à 2,41 millions de tonnes de plastique entreraient chaque année dans l’océan par les estuaires.
11 fleuves d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud seraient à l’origine de 90 % de cette pollution !
450 ans à l’infini
Ce sont les estimations sur la durée de vie du plastique.
Plus de 1 400
C’est l’estimation du nombre global d’espèces marines (y compris les oiseaux) impactées par la pollution plastique. 100 000 mammifères marins en meurent chaque année. 270 espèces ont déjà été victimes d’enchevêtrement et plus de 240 ont ingéré du plastique ◆
- Localisation des 5 vortex : 2 dans le Pacific Nord et Sud, 2 dans l’Atlantique Nord et Sud, 1 dans l’océan Indien.
De véritables croisades contre le plastique : des envies d’y croire !
THE OCEAN CLEANUP : barrage viral
Si nous ouvrons cette “vitrine” par la présentation de “The Ocean Cleanup”, c’est parce qu’à ce jour, ce projet est sans doute le plus abouti en termes d’étude, d’expérimentation et de développement. Et pour cause, cela fait déjà plus de 7 ans que son jeune initiateur, Boyan Slat, y consacre tout son temps et se bat pour légitimer son invention. Désormais, le néerlandais d’à peine 26 ans n’est plus seul, mais à la tête d’une ONG pesant plusieurs millions de dollars !
Boyan Slat n’est encore qu’un “ado ordinaire” lorsqu’à l’issue d’une plongée choc dans les “eaux plastifiées” de la mer Egée, il décide de faire du nettoyage des océans sa croisade ! Sur le papier, son idée est assez simple : inventer une barrière flottante qui retiendrait, contiendrait et permettrait de récolter les déchets alors “emprisonnés”. Son champ de bataille ? Le Great Pacific Garbage Patch, le plus gros vortex de la planète (voir plus haut) ! Convaincu de la faisabilité de son projet, le jeune étudiant en génie aérospatial en fait le sujet d’une conférence TEDx(1) en 2012 et fonde quelques mois plus tard l’ONG “The Ocean Cleanup”. Devenue virale, sa vidéo de présentation lui permet de s’adosser à une florissante équipe scientifique, et de récolter, entre 2013 et 2014, pas moins de 2,2 millions de dollars grâce à deux campagnes de financement participatif.
Entre la simplicité de l’idée et la viabilité du projet, sept années se sont déjà écoulées… Nous passerons sur les différentes étapes chronologiques particulièrement bien développées sur le site officiel. À ce jour, The Ocean Cleanup travaille sur la conception et la réalisation à grande échelle de son “Système 002”, version revue, corrigée et améliorée qui tire tous les enseignements des phases opérationnelles 001 et 001/B menées dans le fameux “Great Pacific Garbage Patch” entre 2018 et 2019.
Schématiquement, ce système est donc composé d’une longue ligne de flotteurs de plusieurs centaines de mètres, sous laquelle pend une “jupe” de 3 mètres permettant de capturer les déchets présents dans cette zone de profondeur sans mettre en péril la faune. En forme de U, l’ensemble est relié à une ancre et un parachute-frein dont le rôle est de ralentir la vitesse de dérive de la barrière flottante par rapport à celle des déchets, afin de pouvoir les contenir.
L’ambition clairement affichée de Boyan Slat est de produire, dès que possible, un grand nombre d’unités vouées à dériver dans les gyres océaniques pour purger leurs vortex de leurs encombrants déchets. Mais, à l’évidence, un long chemin reste à parcourir avant d’atteindre l’objectif annoncé “de nettoyer 90 % de la pollution plastique des océans” qui, avouons-le, se heurte aussi à un océan de scepticisme ! (voir interview en fin d’article) .
Site officiel : https://theoceancleanup.com/
LE MANTA, un projet d’envergure
Entre Yvan Bourgnon et la mer, l’histoire s’est forgée dans “la lutte, à la loyale” ! Aujourd’hui, celui qui se décrit comme le “gladiateur des mers” relève cette fois un défi colossal : créer un navire révolutionnaire, collecteur de déchets plastiques flottants. Nom de code : Le Manta.
Ce géant des mers devrait mesurer 70 mètres de long, 49 mètres de large et 61 mètres de haut. Mais Le Manta conjuguera surtout deux prouesses technique et technologique inédites :
> disposer d’une énergie propre et autonome pour avancer grâce à une propulsion hybride combinant des moteurs électriques alimentés par des panneaux solaires et des éoliennes, et ses quatre gréements automatisés ;
> collecter et traiter les déchets plastiques, avec à son bord une véritable usine embarquée constituée d’une unité de tri manuel, d’un système de compactage, d’un espace de stockage jusqu’à 150 tonnes, et même d’un procédé de “pyrolyse” pour transformer en carburant les déchets plastiques non recyclables ;
Bien que bénéficiant d’un rayon d’action illimité, Le Manta prévoit d’intervenir prioritairement aux embouchures et estuaires des fleuves les plus pollués, là où les nappes de déchets plastiques sont encore concentrées et n’ont pas commencé ni à se désagréger, ni à entamer leurs dérives océaniques.
Porté par l’association d’intérêt général “The Sea Cleaners” qu’Yvan Bourgnon a créée en septembre 2016, ce projet est en partie financé par un appel aux dons qui a permis de récolter 150 000 euros. Une enveloppe qui compte sur d’autres partenaires financiers pour permettre la mise en œuvre de la construction prévue à partir de 2021. Le Manta espère réaliser ses premières missions en 2023, avec à son bord une vingtaine de membres d’équipages et opérateurs, et une dizaine de scientifiques qui pourront profiter de ses laboratoires de pointe et partager les fruits de leurs observations.
Site officiel : www.theseacleaners.org/
REV OCEAN, le rêve d’un milliardaire philanthrope
Un milliardaire qui “s’offre” un yacht… jusque-là, rien d’insensé ! Mais l’homme d’affaires norvégien, Kjell Inge Røkke a dédié une partie de sa colossale fortune(2) à la construction du “REV Ocean” (Research Expedition Vessel), le plus grand yacht au monde affecté à la “santé” des mers. L’objectif annoncé est double : récupérer les déchets flottants et mener des recherches scientifiques pour faire émerger “une nouvelle génération de solutions océaniques”.
Déjà bien avancé, le vaisseau a quitté le chantier naval de Tulcea en Roumanie, pour rejoindre en septembre 2019 Brattvag en Norvège, où se poursuivent l’armement et l’équipement. Entre-temps, Røkke n’a pas chômé en créant l’ONG Rev Ocean, en nommant à sa tête Nina Jensen, ancienne secrétaire générale du WWF Norvège, et en mettant les bouchées doubles pour tenir ses objectifs et ses délais : faire naviguer, dès 2021, ce superyacht de 183 mètres de long sur 22 mètres de large, et mettre le cap sur des expéditions scientifiques (la première est annoncée sur l’Arctique) au profit desquelles le REV Ocean sera mis gracieusement à disposition.
Le vaisseau pourra accueillir au total 90 personnes dont 36 membres d’équipage et jusqu’à 54 scientifiques ou chercheurs qui bénéficieront à bord d’équipements de pointe. Capable de naviguer durant 114 jours sans faire escale, ce bijou technologique s’est aussi donné pour objectif “d’aspirer” 5 tonnes par jour de déchets flottants et de les traiter directement à bord grâce à un incinérateur sans rejets nocifs.
Ce yacht hors norme rêve de faire cohabiter à son bord les meilleurs scientifiques, océanographes, chercheurs, innovateurs, entrepreneurs, éducateurs, influenceurs, politiciens… du monde entier. Un rêve qui, pour l’heure, coûte 350 millions d’euros mais dont la concrétisation, souhaitons-le, n’aura pas de prix !
Site officiel : www.revocean.org/
PLASTIC ODYSSEY, une autre vision
Dépolluer les mers de leurs encombrants déchets plastiques est bien évidemment le dénominateur commun de toutes les initiatives abordées dans ce sujet. Mais la grande originalité de Plastic Odyssey est d’aborder une partie de la problématique dans l’autre sens : faire des déchets plastiques la principale source d’énergie de leur navire d’expédition pendant son tour du monde !
Humilité ou sagesse, lorsque les deux jeunes français, Simon Bernard et Alexandre Dechelotte, créent leur projet associatif “Plastic Odyssey”, ils savent que le combat pour un nettoyage des océans est perdu d’avance. Alors, ils balayent rapidement les confusions (médiatiques) qui leur prêtent ces intentions, pour recentrer le discours sur leur véritable vision des choses : pour réduire la pollution plastique des océans, il faut aller, à travers le monde, à la rencontre des populations les plus démunies en matière de gestion, de tri et de traitement des déchets terrestres.
Et quel meilleur moyen pour cette expédition au long cours qu’un navire ambassadeur qui apporte, à chaque escale, un “catalogue de solutions” simples, accessibles, reproductibles et peu coûteuses ? La dimension écologique prend ainsi tout son sens dans l’approche solidaire et humaine qu’elle véhicule. À tel point d’ailleurs qu’un anthropologue sera intégré dans l’aventure pour aider à comprendre les spécificités des cultures et des besoins locaux afin que les populations s’approprient les solutions proposées.
Du projet à la réalité, un grand pas est franchi en octobre 2019 lorsque l’association devient officiellement propriétaire du Victor Hensen, un ancien navire (1975) de recherche océanographique de 39 mètres de long, pouvant accueillir 20 personnes. Depuis Hanstholm (Danemark), il rejoint les chantiers de Boulogne-sur-Mer où il bénéficie de tous les travaux de restauration, d’aménagement et d’équipement pour donner vie au Plastic Odyssey imaginé par ses fondateurs. Le vaisseau devrait larguer les amarres en fin d’année 2020 pour un voyage de 3 ans et de 33 escales , principalement le long des côtes les plus polluées de Méditerranée, d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie Pacifique.
À l’arrière du bateau, la machine de pyrolyse embarquée(3) sera installée comme prévu, pour transformer “proprement” les plastiques non-recyclables (qui seront ramassés à chaque escale) en carburant, et ainsi alimenter les moteurs. Ce système permet de produire entre 30 et 40 litres de carburant par heure (1 litre de combustible par kilo de plastique traité). Une façon d’aller jusqu’au bout de la démarche et de donner au plastique une valeur un peu plus estimable en démontrant qu’il peut aussi devenir une ressource, à condition d’être bien géré !
Site officiel : https://plasticodyssey.org/
THE INTERCEPTOR, dans le lit des rivières
Toutes les études démontrent que les rivières et les fleuves constituent de véritables artères de circulation des déchets vers la mer. The Ocean Cleanup a donc aussi décidé de s’attaquer à ce problème en dévoilant en octobre 2019, “The Interceptor”, une péniche entièrement alimentée à l’énergie solaire. Sur la même idée de barrière flottante, les déchets fluviaux charriés par le courant sont orientés, grâce à cette digue, vers la “bouche” du bateau dotée d’un énorme tapis roulant qui extrait en continu les débris de l’eau. Grâce à un système automatisé, ceux-ci sont déversés dans des bennes disposées sur toute la longueur de la barge qui peuvent stocker jusqu’à 50m3 de déchets. Deux prototypes sont pour le moment en activité sur le canal de Cengkareng à Jakarta (Indonésie) et sur la rivière Klang en Malaisie.
LE KRAKEN, Toutes voiles dehors
De leur rencontre en 2016, à bord d’un navire Sea Shepherd, deux jeunes écologistes français, Julien Wosnitza* et Sébastien Fau, font germer un projet un peu fou pour poursuivre leurs engagements écologiques. L’association à but non lucratif “Wings of the Ocean” voit ainsi le jour en 2018 portée par son emblématique trois mâts : le Kraken. Ce navire, construit en 1974,
de 47 mètres de long et 34 mètres de haut, hisse donc sa voilure de 1 007m2 pour mener, dès le printemps 2019, sa première croisade en Atlantique, entre les 3 archipels de Madère, Les Canaries et les Açores. À son bord, un jeune équipage d’une quinzaine de personnes accueille à ses côtés des océanographes et scientifiques chargés d’alimenter les recherches sur l’impact de ces pollutions plastiques sur l’environnement marin. Côté dépollution, l’équipe a choisi de se concentrer, lors des escales, sur des actions de collectes de déchets sur les plages notamment isolées et difficiles d’accès : près de 3,2 tonnes de déchets et plus de 70 000 mégots ont été collectés en 2019.
Site officiel : www.wingsoftheocean.com
Des idées à foison… Tous les moyens sont bons !
Finalement, pour la dépollution des mers, tous les moyens seraient-ils bons, quelle qu’en soit l’échelle de grandeur ? Certes, il faut rester lucide, mais l’addition des initiatives à taille humaine peut, sinon réaliser un impossible miracle, au moins éveiller les consciences.
SEABIN, la poubelle qu’on aime voir flotter !
En surfant sur les vagues australiennes, deux passionnés, Andrew Turton et Peter Ceglinski, voient la mer de près, et la réalité de son état aussi ! Une question leur traverse alors l’esprit : “Si nous pouvons avoir des poubelles sur terre, pourquoi ne pas en avoir dans l’eau ?” C’est ainsi qu’en 2015, émerge le projet Seabin, un collecteur de déchets destiné aux ports et aux marinas, dont le lancement est financé par un appel aux dons qui récolte 276 000 dollars !
En mars 2016, La Grande-Motte devient la première marina pilote à s’équiper de cette poubelle des mers ! Depuis, l’idée a été couronnée par de nombreux prix prestigieux de l’innovation, du développement durable, de l’impact social… Un coup de fouet au développement commercial du produit qui totalise aujourd’hui plus de 500 unités installées dans plus de 30 pays, dont une vingtaine en France, dans certains ports de Méditerranée, d’Atlantique et même parisiens ! Entièrement fabriquée par Poralu Marine, son partenaire français de la première heure, Seabin présente aujourd’hui sa version 5. Ce “skimmer poubelle” de cinquante centimètres de diamètre est immergé à fleur d’eau. Alimentée en électricité, sa pompe à eau submersible, en créant un courant continu, agit comme un véritable aspirateur des déchets flottants. Ces derniers sont contenus dans un “sac de capture” et l’eau absorbée est rejetée, non sans avoir été préalablement assainie grâce à des tampons qui permettent également de filtrer les huiles de surface et autres polluants. La Seabin peut récolter jusqu’à 9 kilos de déchets par jour. Selon le constructeur, si la moitié des ports de plaisance et marinas du monde s’équipaient, il y aurait 30 000 tonnes de déchets en moins dans l’océan chaque année. À 3 300 € le coût moyen d’investissement pour cette poubelle des mers, ça vaut peut-être la peine d’y réfléchir…
Site officiel : www.seabinproject.com
RECYCLAMER, le robot écolo
Si la poubelle des mers fait partie de la panoplie des solutions, pourquoi pas un aspirateur ? C’est exactement l’idée qu’a eu le franco-argentin Alan d’Alfonso Peral avec cette ingénieuse invention baptisée le “Recyclamer” du nom de l’association qu’il a créée dès 2016, consacrée à la sensibilisation de la pollution aquatique et au ramassage des déchets, notamment dans les ports. L’idée de renforcer ses troupes avec un robot se concrétise par un prototype constitué de deux flotteurs de ponton, d’une poubelle servant de réceptacle à détritus et d’un panneau solaire en source d’énergie. Moins d’un an après, en juillet 2018, la start-up Recyclamer Innovation voit le jour, s’adosse à de nombreux partenariats en R&D et installe ses locaux de production sur les bords de la Vienne à Saint-Junien. Désormais, ce robot breveté est opérationnel et se dit en mesure de pouvoir tout aspirer : autant les déchets solides flottants que les nappes d’hydrocarbures grâce à un filtre 100 % naturel. Doté de capteurs de mesure, il peut également analyser en temps réel la qualité de l’eau. Entièrement électrique, il bénéficie d’une totale autonomie grâce aux panneaux photovoltaïques qui le chapeautent. Plusieurs tailles d’engins sont en développement pour répondre aux différentes configurations de lieux et d’usages. D’ici fin 2020, Recyclamer Innovation devrait amorcer la phase de commercialisation, avec un premier objectif d’équiper les marinas et les ports de 250 robots en capacité de ramasser plus de 80 tonnes de déchets et 500 litres d’hydrocarbures. Certes plus coûteux que la poubelle Seabin, il est vendu entre 12 000 et 18 000 euros selon les options et équipements choisis. Parallèlement, l’inventeur poursuit son activité associative de sensibilisation, notamment en apprenant aux écoliers le pilotage du robot flottant !
Site officiel : www.recyclamer-innovation.com
UNE SOLUTION ALCHIMIQUE contre les micro-plastiques
Jouer les apprentis sorciers peut rapporter gros ! Le jeune irlandais de 18 ans, Fionn Ferreira en a fait tout récemment l’expérience en recevant, en juillet 2019, le prix “Google Science Fair” qui lui a permis de mettre en lumière son invention et d’empocher une bourse d’études de 50 000 dollars ! Ici, pas d’engin futuriste ou de bateau providence, le jeune scientifique prétend apporter une solution “alchimique” d’extraction des micro-plastiques dans l’eau et contribuer ainsi à lutter contre cette pollution encore plus insidieuse car moins visible ! Inspirée par les travaux du physicien Arden Warner (pour collecter les nappes de pétrole flottantes lors de marées noires), la méthode conçue par Fionn Ferreira est démontrée dans une vidéo publiée sur sa chaîne youtube : elle consiste à utiliser une substance huileuse pour agglomérer les particules de l’eau polluée, puis une poudre de magnétite qui va adhérer au mélange huile-plastique. Ce ferrofluide (liquide magnétique) peut ensuite être retiré grâce à un aimant et l’eau devient claire. Selon l’inventeur, 87 % des 1 000 essais effectués se sont montrés concluants. Toutefois, il reconnaît une efficacité moindre observée sur le plastique polypropylène. De quoi occuper ses prochaines recherches pour affiner son aimant à microplastiques et envisager son développement industriel pour s’attaquer à la réalité bien plus vaste qu’un verre d’eau…
Chaîne youtube : https://www.youtube.com/channel/ UC_7YwhDzxYAg7rZEMKLhe1g
INTERVIEW DE LUDOVIC FRERE ESCOFFIER, RESPONSABLE AU WWF FRANCE
Nous ne pouvions conclure un sujet si sensible sans nous interroger sur la portée réelle de toutes ces initiatives. N’ayant pas la légitimité d’apporter les réponses, nous avons sollicité l’avis d’une des plus grandes ONG qui se bat sans relâche pour des causes environnementales majeures. Sur la question de la dépollution plastique des océans, le propos de Ludovic Frère Escoffier, responsable du programme “Vie des océans” au WWF * France est pour le moins… tranché !
C&P : Depuis quelques années, des idées fleurissent pour tenter de nettoyer les océans. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Ludovic Frere Escoffier : Ma position est très claire : dépolluer l’océan n’est pas possible et le faire croire est irresponsable ! Cette promesse est une ineptie : d’abord parce qu’on est sur une pollution en grande partie liée à des micro-plastiques, sur une surface qui couvre 70 % de la planète ! Ensuite, parce que là où se trouvent ces particules se trouve aussi la Vie, donc en récupérant une partie du plastique, on prélève aussi une partie du plancton essentiel pour l’écosystème marin.
C&P : Mais pour ce qui est des macro-plastiques encore en surface, ne vaut-il pas mieux trouver des moyens de les récupérer plutôt qu’ils finissent autour du cou d’un animal ou dans l’estomac d’une baleine ?
LFE : Ces actions de collectes ne peuvent avoir de sens que si elles sont ciblées et circonscrites là où il y a une forte concentration de déchets, comme les estuaires par exemple. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire : des initiatives pour récupérer quelques morceaux de plastique ou bien encore des filets fantômes, des observations et des recherches pour tenter de mieux cerner ce type de pollution… sont des micro-solutions louables et utiles. Mais on parle d’actions qui constituent des têtes d’épingle dans l’immensité de l’océan et qui ne peuvent en aucun cas prétendre éradiquer la pollution marine. Pour y parvenir véritablement, il faut agir en amont, en réduisant drastiquement notre production et notre consommation de plastique.
C&P : Finalement, le problème relève plus du discours que de l’acte ?
LFE : Absolument ! Le discours de ces porteurs de projets peut se révéler dangereux car il alimente le déni collectif en faisant croire aux entreprises et aux citoyens qu’ils peuvent continuer à produire et consommer du plastique à outrance sans se sentir responsables du drame planétaire qui se joue sous leurs yeux puisqu’une poignée d’aventuriers, épaulés par les grands de ce monde, disent qu’ils vont aller nettoyer les océans !
C&P : Si on devait conclure ce sujet sur une note d’optimisme ?
LFE : Ce problème doit urgemment être pris à bras le corps, à l’échelle planétaire. En demandant l’adoption d’un traité international pour lutter contre la pollution plastique, ça permettrait d’inviter les différents pays autour de la table, de partager les différentes solutions déjà existantes, d’encourager les acteurs économiques et industriels à réfléchir à un avenir sans plastique, bref d’avoir une émulation mondiale solidaire autour de ce fléau écologique et sanitaire pour amorcer enfin le vrai changement culturel. Cela s’appelle un nouveau paradigme.