“Labarakabars”, un pêcheur de bars

Labarakabars, un pêcheur de bars, c’est son nom de scène. Bien qu’il aime à se faire petit ! De fait, vu de près par l’un de ses abonnés, il est toutefois grand. Pour autant, qui le connaît bien dirait que son humilité dépasse encore sa taille. Son prénom signifie Protecteur de Dieu, là on ajouterait bien Protecteur-de-Dieu-le-Bar.

Les premiers pas

Petit déjà, à la pêche à la traîne avec son grand-père, il était totalement inutile d’imaginer qu’il ne tienne pas la ligne. “Une question vitale de prise de la sensation, des vibrations, raconte-t-il. Il a connu un apprentissage difficile, et puis, les écoles de pêche du bord n’existaient pas à l’époque. La prise d’un bar était un rêve, une obsession. Je savais qu’on se rencontrerait un jour dans l’écume et le blanc des vagues et du courant. Là où je n’avais pas encore le droit d’aller. Maquereaux, chinchards, dorades, lieus, orphies auront permis d’attendre. Et puis, un soir de mes 17 ans, mon premier bar. C’était comme un coup de foudre avec ce poisson, suivi d’une remise à l’eau immédiate. Un aîné passant par là me dit alors : “Le bar est un chasseur, mets-toi à sa place… Ça a été un véritable déclic !”, m’explique-t-il.

Trois années plus tard, grâce à une passion dévorante, l’essentiel était acquis, aidé en cela par des études d’environnement. De bonnes lectures, même anciennes, comme “La vie de Pêche” d’Ange Porteux qui illustre parfaitement la quête de notre homme.

Depuis, la recherche des sensations, principale motivation du pêcheur, le poursuit et, rapidement, celle-ci s’est transformée en recherche d’émotions. Ainsi, au fil des années, l’acquisition des données est devenue un savoir-faire. Lequel a débouché sur un désir de faire-savoir.

L’homme est organisé, méthodique, pédagogue. Il est vrai qu’il a encore un pied dans l’éducation.

À ce jour, on ne compte pas moins de 150 vidéos à son actif et 51 000 abonnés passionnés et assidus. Cela méritait que Côt&Pêche s’y penche un peu, d’autant plus que l’homme est peu banal et sa démarche tout autant. Pour la circonstance, on en aurait bien fait un sous-titre à Labarakabars : à côté de la Pêche.

Il faut reconnaître que notre personnage arrive à point nommé. Fini le temps glorieux où nos pêches du bord pouvaient ressembler parfois à des razzias. Depuis une quinzaine d’années – c’est hier pour nous les vieux pêcheurs –, le bar a bien régressé. Les pêcheurs du coin qui ont passé 30 ans sur ses postes peuvent en témoigner.

Peut-être aussi que si l’abondance avait facilité les prises, nous ne nous poserions pas toutes ces questions traitées par notre ami.

Entre temps, et de toute manière, la législation a eu le dernier mot. Reconnaissons que les plus ardents n’ont pas été une bonne publicité pour la cause. Les professionnels ont su très vite en tirer parti. Faisons contre mauvaise fortune bon cœur, en espérant que cela soit favorable à la remontée des populations.

Les habitués du bar

Bien des abonnés s’accrochent à la ligne, car tout se passe comme si leur héros nageait à contre-courant de l’histoire. “Là où vous êtes les amis, il y a autant de bars…”, aime-t-il à dire. La question serait-elle que la pêche devient et deviendra de plus en plus fine et donc technique ?

D’autres, plus nostalgiques du passé, ont abandonné la partie. Puis, en réapprenant la chose sous un angle différent, ils s’y remettraient bien. Pas simple, car il faut repartir à zéro. L’affaire peut paraître, pour certains, d’autant plus amère que le pêcheur, naturellement solitaire, n’est pas un communicant.

On évite de dire ce qu’on a pris. Si on le dit, c’est pour énerver, et encore moins où c’était. C’est tout le contraire de notre ami, car lui, c’est le comble, il détaille tout ! Tout y passe : le matériel, les conditions, les prises et autres finesses à n’en plus finir. Certains, bons princes, saluent bien bas ce même pas trentenaire.

Bon, on s’en doute, l’auteur de ces lignes, de deux fois et demie son âge, fait partie de cette catégorie.

Mais il est énervant tout de même….

Les débutants

Labarakabars poursuit sa ligne. Imperturbable. Des critiques surviennent pourtant des inconditionnels, insatiables, exigeants, souvent plus jeunes : “C’est facile avec du matériel haut de gamme et quand en plus on ne le paye pas…” Mais il faut comprendre ici que sans des jours, des mois, des années, rien ne serait là. C’est totalement impossible sans y consacrer sa vie. Notre ami n’est pas un guide de pêche, ça ne l’intéresse pas. Il veut et ne peut que pêcher seul. Et au bord.

Une question de choix. Il dit “qu’il y perdrait sa liberté… son ressenti des sensations”.

Et puis, guide de pêche ou pas, ce job, c’est un vrai métier. Il faut donc en vivre.

Dans ces conditions, quels candidats peuvent imaginer imiter, à défaut d’égaler ? Tenter de comprendre un peu quelques clés serait déjà bien.

À la mise en pratique, on en vient à comprendre que la seule application de la recette peut se révéler bien vaine. C’est plus compliqué que ça. La rigueur devient une clé. Alors si ça nous tente, au boulot !

Le matériel

Pas besoin d’un matériel sophistiqué et coûteux. “Ma première canne à leurre était une 2,40 m avec un moulinet série 4 000. Une tresse 8 brins 15/100e, un bas de ligne fluorocarbone de 30/100e pour la discrétion et des agrafes de taille 1,5. Un poisson nageur conseillé par le magasin, un leurre souple et 2 ou 3 casting jigs”. Pour de plus (longs) détails, on se reportera utilement à sa chaîne YouTube : Comment choisir sa canne pour la pêche en bord de mer et Dix leurres pour la pêche du bar et plus d’une centaine d’autres sujets.

Des résultats

Il est clair qu’il y a de nombreuses prises, mais chaque sortie est un face-à-face avec le poisson. Ne soyons pas dupe, également un face-à-face avec lui-même. Et il met la barre très haute. Des heures à parcourir les grèves afin de lire la mer et ses conditions : “Les jumelles sont un accessoire indispensable au pêcheur”, nous confie-t-il. Sans doute des restes d’heures et de mois durant ses stages de formation à compter les œufs à la lunette ornithologique. “Je me préparais…, en fait, je scrutais davantage la mer et les rivages !”

Qu’en est-il des bredouilles ? Pour lui la fréquence n’a pas plus de sens. “Parfois, tu penses que tous les feux sont au vert et la session se passe sans la moindre touche. Tu te rends compte que tu n’arriveras jamais à tout comprendre. Où sont-ils ? Pourquoi ne mordent-ils pas ? Et puis tu as toujours quelque chose à prendre : un embrun, un paysage, une lumière, les couleurs, les bruits. Je pense que c’est d’essayer de penser comme lui qui me fait prendre de nombreux poissons”.

Alors, toujours, il va rebondir, chercher encore… Pour éviter la bredouille, il est capable de finir la session en pêchant au bouquet vivant. L’homme est décalé.

Partons à la pêche

Choisissons sa dernière session de l’hiver. “On peut encore débusquer du bar, mais de janvier à mars les femelles ont des œufs”, dit-il. Ce jour-là, il s’agit d’un spot inconnu pour notre homme. Nous, nous l’appelons un “spot” pour les vieux : les pieds sur le sable avec des rochers plats et bas. Lui préfère faire l’acrobate sur des approches parfois escarpées ; là, il est tranquille. “Si tu veux prendre du bar, il faut pêcher seul”.

On démarre en sifflotant, la canne légère. Inutile de partir un jour d’humeur sombre. Ce serait aller droit à la bredouille. Moteur, la GoPro tourne. On commence par décrire ce lieu inconnu. “Ah ! Ce paysage magnifique, et cette lumière. Regardez, les rochers présentent beaucoup d’aspérités et de failles. On voit des algues brunes : tout ce qu’il faut pour la présence de crabes verts, de gobies, sans doute du bouquet. Toute la panoplie du régime du bar. Regardez, ici des zones claires et foncées, c’est l’alternance sable et roches immergées. Là, ça forme comme un entonnoir, une voie sans issue pour les poursuivis. Un peu plus loin : du sable grossier en bordure de sable fin…” Un milieu apprécié pour l’enfouissement des bancs de lançons à mer descendante. Le bar le sait. On aura compris qu’il s’agit là de paramètres déterminants sur la possibilité de présence du poisson. “Ce ne sont pas les lieux de pêche qui comptent, mais la façon de rechercher la proie”. Tiens, ça me rappelle des années de bredouille à la truite !

L’ami, si tu veux prendre du bar, il te faudra faire un peu de pêche à pied, parcourir ta côte préférée. Noter la présence de couloirs, de zones mixtes sableuses et roches, des murailles verticales, des plans inclinés vers l’eau où les proies sont acculées avant l’attaque. Il te faudra tenir un carnet des prises et des conditions ce jour-là : la hauteur d’eau, le courant, l’état de la mer, la marée, le vent…

Ici, tu ne lanceras plus à 40 mètres puisque tu les prends dans tes pieds. Noter le rocher isolé où tu l’as pris alors qu’il n’était pas en banc en pleine eau, mais seul à l’affût. À l’inverse, l’étranglement où ils étaient toute une bande, mais qui n’a fonctionné que 20 minutes… Les paramètres sont nombreux et pas faciles à saisir.

Ainsi, les rochers, on finit par les connaître un par un, on leur donne même un nom. Quelques-uns sont bénis. Tu pourras y revenir. C’est à ce prix…

Comment imaginer aussi de vouloir pêcher ce poisson sans aller lire sa biologie ? Comprendre que la taille limitée à 42 cm ne s’invente pas. Il a 4 ans, l’âge de la reproduction. Laissons-lui au moins la chance d’une première fois.

Pêcheur, il te faudra donc choisir ta source d’inspiration : prendre du poisson ou aller à la pêche ? Labarakabars a fait son choix de longue date. Après avoir pris bien le temps (pas facile) de faire cette lecture des lieux, la session du jour se poursuit.

On sent monter une petite pression, sans doute liée à la concentration, mais aussi un peu d’adrénaline chez le You-Tubeur qui regarde la vidéo. Ce dernier se doute de la suite. Car, ce fidèle sait que cette fois c’est l’homme qui est un loup… pour le loup (bar). Il est armé jusqu’aux dents !

“Je vais lancer là,… rien. L’eau n’est pas claire, pas de leurre de surface.

Là, dans ce couloir, je vais prendre un shad, vitesse moyenne, qui ne produit pas trop de bruit”. Soudain : “Poisson ! Un peu de pression retombe !”

“Changeons de stratégie, plus loin en pleine eau…, rien. Je vais prospecter au-dessus de cette zone noire. Passer sur ce plateau de roches très peu profondes. Montage texan pour ne pas accrocher. Poisson ! Mon choix était payant”.

L’émerveillement

Sortie délicate de l’eau. C’est le retour de l’émotion. “Magnifique, incroyable, extraordinaire”. On se demande lequel est le plus étonné des deux. Puis c’est le moment du bisou rituel.

“Allez, je te cherche une mare”. Comme si c’était afin qu’il se remette de ses émotions. Lui aussi, à son tour.

“… Regardez les amis, cette couleur si claire, dans quelques minutes il est aussi sombre que le fond de cette flaque d’eau. Mais quel bonheur. On dirait qu’il vole”. Lui, il plane…

Ce jour-là, sur ce site inconnu, 6 prises, toujours vivantes, auront eu le plaisir de nous enchanter.

Parfois, on assiste à d’étonnants spectacles. La curée d’un banc de poissons ou de dauphins en chasse après avoir encerclé leurs butins. Les proies qui jaillissent hors de l’eau. Le plongeon en piqué de 40 mètres d’un Fou de bassan, le bond d’un dauphin de 3 mètres. L’attaque incroyable en surface d’un énorme thon rouge, l’aileron d’un requin qui fend l’eau… eh non ! La nageoire pectorale d’un poisson lune… La pêche ne compte plus, elle s’arrête, le temps aussi et la caméra tourne.

C’est la fin de la session, le moment de la remise à l’eau des poissons. En effet, en garder un est au-dessus de ses forces. Le dernier, c’était en 2017 pour l’anniversaire de sa grand-mère. “La mise à mort a été compliquée”. Accompagné de belles musiques, habillé de merveilleux paysages… Moi je regarde les sessions en les castant sur mon téléviseur !

La relation de l’homme à l’animal. Ça ressemble à du Tesson racontant Munier dans La Panthère des Neiges, justement primé. Ce grand photographe animalier est pour lui un mentor. Ainsi donc, si le bar est à l’affût, notre homme l’est aussi. C’est dans sa démarche.

Notre pêcheur dit qu’à chaque départ il se répète cette phrase que Vincent Munier emprunte à G.K. Chesterton : “Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement”. Garder l’émerveillement, comme chez l’enfant, cela semble permanent chez lui : le poisson, le ciel, la mer, le vent, les oiseaux, les bruits… Avec le temps qui passe, nous sommes preneurs. Certains vont le remercier pour la qualité de son approche scientifique, d’autres pour une présentation poétique des choses. Tout le monde y trouve son compte. C’est bien là l’essentiel.