L’épuisement de nos ressources naturelles est une réalité et, surtout, un signal d’alerte extrêmement fort qu’on ne peut plus désormais ignorer ! Les richesses de nos mers sont évidemment directement impactées, en raison notamment d’une surpêche industrielle qui dévaste une partie des mers du globe. Sans parler de la fragilité du milieu soumis à des pollutions très intenses, et son exposition particulière aux conséquences du réchauffement climatique, deux facteurs qui contribuent eux aussi à la disparition massive de la vie marine !
Alors, manger du poisson ne deviendra-t-il plus que le souvenir d’un temps jadis qui ne remonte finalement qu’à une trentaine d’années ?! À cette même époque décriée, l’aquaculture est aujourd’hui abordée comme une solution d’avenir, non pas de substitution mais de contribution, pour espérer continuer à offrir aux populations des produits issus de nos ressources halieutiques.
Et nous pouvons même affirmer que c’est déjà une réalité puisqu’en 2020, l’aquaculture a produit 56 % du volume total de produits alimentaires issus d’animaux aquatiques destinés à la consommation humaine.
Questions d’approches
Si l’élevage des coquillages et des truites en France est “ancestral”, l’aquaculture dite “nouvelle” est une filière relativement jeune, née dans les années 80. Ce sont les efforts combinés de la recherche et des premiers éleveurs qui ont permis la maîtrise de la reproduction artificielle et la mise au point d’une alimentation spécifique adaptée à ces premiers poissons marins qui étaient alors le bar (plus souvent dénommé loup en Méditerranée) et la daurade royale. “L’élevage du bar (et de la daurade qui a débuté à Palavas) ainsi que les premières fermes de grossissement, avec les premiers alevins à faire grandir, ont été installées dans la Baie de Tamaris”, rappelle Patrick Mendes (1), le créateur et gérant de la société “Les poissons de Tamaris”.
TAMARIS, UN SITE UNIQUE
Lovée entre la rade de Toulon et la presqu’île de Saint-Mandrier, la baie du Lazaret – plus souvent appelée baie de Tamaris – bénéficie d’une implantation exceptionnelle et particulièrement protégée, faisant de ce site d’exploitation aquacole l’un des plus remarquables de France où cohabitent historiquement la mytiliculture (élevage de moules), l’ostréiculture (élevage d’huîtres) et la pisciculture (élevage de poissons). Comptant parmi la quinzaine de sites d’élevage dans la région PACA, 200 tonnes de poissons en sortent chaque année (soit 1 % du poisson d’élevage consommé en France) pour alimenter principalement les étals de commerces et supermarchés locaux et régionaux, mais aussi quelques belles tables gastronomiques.
ÉCHELLES DE VALEURS
Certes, la dimension locale, ou tout au plus régionale des productions de la baie de Tamaris, n’est pas le reflet d’une aquaculture massive et industrielle répandue au Sud de l’Europe et en particulier en Grèce, en Espagne ou en Turquie. “Le rapport de grandeur est de 1 à 1 000” schématise Olivier Otto(2), le patron de la ferme Cachalot. “Aujourd’hui, la filière du bar et de la daurade en Europe est tenue à 80 % par une poignée de gros groupes financiers” confirme Patrick Mendes.
Cette “échelle de valeurs” se retrouve également dans les approches bien différentes des exploitants : les uns animés par une logique industrielle de rentabilité, les autres par l’amélioration continue d’un élevage de qualité : “Nous avons trouvé notre rentabilité dans le fait de produire un poisson de qualité pour le vendre plus cher, contrairement aux élevages industriels qui cherchent à réduire les coûts par une massification des volumes”, précise Patrick Mendes. Pour sa part, Olivier Otto pointe certaines de ces super-exploitations qui “ont encore des pratiques critiquables sur les conditions d’élevage en surdensité, sur l’alimentation souvent inappropriée et sur l’usage de produits médicamenteux pour éviter ou enrayer des risques de contaminations”. Autant de mauvaises pratiques qui continuent hélas à dévaloriser la filière..
DES PIONNIERS AUX DERNIERS
Alors, sommes-nous condamnés à manger du poisson d’élevage de piètre qualité et dopé aux protéines d’animaux terrestres et aux antibiotiques ? La réponse est clairement NON ! Et on en a la preuve au “paradis de l’aquaculture” ! “L’aquaculture comme la pratiquent les fermes de Tamaris n’existe quasiment plus en Europe. Il y a 50 ans, ces exploitants étaient des pionniers et si aujourd’hui nous sommes parmi les derniers tenants d’un modèle artisanal, c’est en raison de nos capacités à faire survivre ce modèle grâce à la proximité d’une clientèle régionale attachée à nos produits, et surtout à l’acharnement de quelques pionniers comme Olivier Otto et Fred Leguen”, insiste Patrick Mendes. Bien que, comme toute entreprise, ces fermes soient contraintes à un (fragile) équilibre pour pérenniser leur activité, ainsi émancipées de cette pression industrielle, elles sont devenues une friche d’expérimentation où s’invente et s’élabore l’aquaculture de demain, dans sa version la plus éthique ! ◆
(1) Patrick Mendes est le gérant des “Poissons de Tamaris”, une coopérative dont il s’occupe depuis plusieurs années pour vendre et distribuer les productions de la Baie.
(2) Depuis plus de 30 ans, Olivier Otto est à la tête de la ferme Cachalot et s’inscrit comme un véritable moteur pour le développement d’une aquaculture respectueuse, vertueuse et durable dans la Baie de Tamaris.
Un vrai tournant
Pour être précis, la pisciculture est la branche de l’aquaculture qui désigne l’élevage de poissons en milieu naturel ou en bassin artificiel, destinés à la consommation. Et pour être clair, c’est un métier… Routinier et ingrat !
Voir grandir les alevins, qui généralement rejoignent les cages aquacoles au mois de mai, nécessite de la patience, entre 3 et 4 ans selon la maturité des espèces (plus rapide pour la daurade que pour le loup par exemple). C’est une présence de tous les instants, 7 jours sur 7, renforcée en période d’été lorsque les poissons, sortis de leur période hivernale végétative, sont particulièrement affamés ! C’est de l’épreuve physique aussi, pour s’occuper de l’entretien des cages, des filets, régulièrement détériorés par les éléments marins, mais aussi par des oiseaux gourmands, gourmets et de plus en plus rusés ! C’est un rythme de vie à contre-courant, pendant que dorment les consommateurs, pour leur garantir à leur réveil, une livraison “fraîcheur du jour” sur leurs étals préférés.
Mais c’est aussi un métier passionnant et captivant qui se nourrit d’observations, de recherches, d’expérimentations… Dans la baie de Tamaris, il suffit de voir ses acteurs pour comprendre qu’entre ces professionnels et leur métier, c’est une histoire de communion, d’osmose et d’interactivité entre les éléments fondamentaux de “l’équation durabilité” : les ressources, l’environnement et les hommes.
L’ALIMENTATION DES POISSONS : LA RECETTE CRUCIALE POUR UNE AQUACULTURE DURABLE
Pour que l’équation fonctionne, une donnée fondamentale doit être considérée en priorité : l’alimentation des poissons d’élevage. Il ne faut pas se mentir, ce sujet continue à faire débat, mais force est d’admettre qu’en l’espace de ces dix dernières années, les choses ont bien évolué tout de même ! Aux balbutiements de l’aquaculture, il fallait énormément de poissons fourrages (et sauvages…) pour nourrir les poissons d’élevage… “Il y a 30 ans, les aliments de poissons d’élevage étaient composés à 60-70 % de farines de poissons car on ne connaissait pas le détail des nutriments nécessaires à leur croissance, reconnaît Bruno Noguerra, chef de produit Europe pour les poissons marins chez le fabricant BioMar. En d’autres termes, il fallait 5 à 10 kg de poissons fourrage pour faire 1 kg de poissons d’élevage. Mais grâce aux recherches et développements de l’industrie alimentaire et aux publications scientifiques que nous suivons avec beaucoup d’attention, nous avons considérablement réduit ce ratio et même inversé la tendance : aujourd’hui on produit entre 1 et 3 kg de poissons d’élevage (bars et daurades) avec 1 kg de poissons fourrage”. Il faut préciser que dans leur milieu naturel, les espèces dont il est question se nourrissent aussi de poissons fourrages. Ce qui suppose que dans la formulation idéale de l’aliment d’élevage, il n’est pas question d’enlever complètement la part de protéines animales, mais de la réduire à la portion strictement nécessaire pour l’équilibre alimentaire et le bien-être du poisson. Pour le reste (acides aminés, acides gras, oméga-3…), les solutions se trouvent ailleurs, comme par exemple, dans la revalorisation des déchets émanant des poissons destinés à la consommation humaine et réutilisés par d’autres secteurs dont désormais l’aquaculture, ou bien encore dans l’utilisation (révolutionnaire !) de certaines microalgues. Mais tout n’est pas rose non plus du côté du végétal, dont les cultures peuvent aussi avoir des effets indésirables sur l’utilisation des surfaces, de l’eau, les gaz à effet de serre… “C’est une équation à données multiples qui est extrêmement complexe à résoudre pour trouver le bon équilibre, résume Bruno Noguerra. Aujourd’hui, nous appréhendons la composition alimentaire non plus en termes d’ingrédients mais en termes de nutriments, adaptés à chaque espèce de poisson, pour chaque classe d’âge, etc. Nous avons des logiciels qui nous permettent de trouver les meilleures formulations, mais à un stade de l’équation, il y aura toujours le verdict économique qui tranchera !” Car si la démarche se veut “noble” pour contribuer à la préservation des ressources marines, elle est néanmoins motivée par une réalité, pour ne pas dire une contrainte économique forte : l’alimentation des poissons doit rester une “matière première” suffisamment abordable pour les exploitants, pour que les produits issus de l’aquaculture restent suffisamment accessibles pour les consommateurs !
LES “DRUIDES” DE TAMARIS
L’alimentation des poissons est l’épineux sujet sur lequel ont décidé de se pencher aussi une poignée “d’irréductibles varois”. Nom de code du projet : Beugz ! Dans le cercle fermé de ces druides modernes : l’initiateur Christophe d’Ayguesvives dont le restaurant Le Bento Sushi à Draguignan est, comme son nom l’indique, spécialisé dans le poisson cru ; l’explorateur Olivier Otto dont l’engagement pour sa ferme Cachalot ne s’est jamais démenti depuis plus de 30 ans ; le consultant scientifique et anthropo-biologiste toulonnais, Philippe Stefanini, créateur du concept de l’aliment durable. Soutenu par des partenaires comme l’Institut Océanographique Paul Ricard, le service agricole et pêche de Toulon Provence Méditerranée (TPM) et plus largement épaulé par une commission informelle de restaurateurs et de professionnels de la filière qui ont régulièrement fait office de testeurs, le petit groupe a mené, pendant 5 ans, des recherches, des études et des essais pour évaluer sur le loup d’élevage l’impact de son alimentation. La motivation de leur démarche ? C’est Olivier Otto qui la résume : “Des poissons heureux sont des poissons bien nourris et la qualité de leur chair dépend de la qualité de ce qu’ils mangent ! Notre objectif était donc d’identifier une alimentation la plus saine, équilibrée et durable possible, qui soit à la fois respectueuse de la ressource disponible, et apportant des solutions alternatives issues de l’environnement naturel des poissons”. Après 5 années à observer, expérimenter, doser, ajuster, affiner, bref formuler pour élaborer les meilleures “portions magiques”, les premiers constats sont évidents : “les poissons adorent cette nourriture nouvelle, se portent mieux, ont une prise de poids identique à l’alimentation standard, mais présentent une forme différente, moins grasse, moins ventrue, plus musclée et tonique, finalement très proche du poisson sauvage”. Un verdict également sans appel lors de la session officielle de dégustation à l’aveugle organisée le 30 janvier 2023 pour comparer les qualités gustatives de ces poissons nourris avec le nouvel aliment (voir l’interview de Philippe Stefanini) ◆
LE CONCEPT D’ALIMENTS DURABLES, UN DÉFI ÉTHIQUE D’AVENIR
Interview du Docteur Philippe Stefanini, chercheur CNRS /CREAT et consultant scientifique
Côt&Pêche : L’alimentation du futur est un sujet de recherche qui vous a toujours passionné ?
Philippe Stefanini : Absolument. Autant lorsque j’étais ingénieur agricole que lorsque j’ai basculé sur un doctorat en anthropologie médicale au CNRS, je me suis toujours interrogé sur le rôle de l’alimentation et sur l’aspect qualitatif de la nutrition qui, pour moi, sont les piliers fondamentaux de la médecine préventive. J’ai travaillé et créé un nouveau concept : la notion d’aliments durables. Et par le biais de l’anthropologie, j’ai créé un autre concept : la conversion éthique qui est d’ailleurs le thème de mon dernier livre*, préfacé par Yann Arthus Bertrand. L’éthique est pour moi une vraie philosophie et le cœur de mon activité, c’est l’exploration pour découvrir les aliments du futur durables.
C&P : Comment vous êtes-vous retrouvé à la Ferme Cachalot d’Olivier Otto ?
PS : J’ai collaboré auprès de l’Institut Océanographique Paul Ricard (IOPR) pour mener des travaux sur la spiruline. En me penchant sur cette question, j’ai découvert les problématiques concernant l’alimentation des poissons d’élevage, notamment des loups et daurades royales sur lesquels travaillait l’institut. J’ai donc fait une bibliographie pour connaître leurs habitudes alimentaires et leur approche naturelle. Je me suis positionné pour être formulateur scientifique, et j’ai travaillé pour améliorer en permanence cet aliment afin qu’il soit le plus approprié sur un plan nutritionnel mais aussi thérapeutique. On appelle cela un alicament. De
nombreux essais ont eu lieu à l’IOPR, avec des paramètres absolument maîtrisés en bassin, et des résultats très encourageants même si nous n’étions pas encore dans la perfection.
Lorsque j’ai été sollicité pour apporter ma contribution scientifique à l’initiative de Christophe d’Ayguesvives et Olivier Otto, j’ai tout de suite été enthousiasmé par la démarche. Nous avons partagé cette aventure pendant 5 ans. Notre objectif était de créer l’aliment idéal pour que le poisson d’élevage ait un système immunitaire et un métabolisme aussi fort qu’un poisson sauvage. Nous avons travaillé sur le loup et la daurade royale, mais il faut savoir qu’en termes d’alimentation chaque menu est adapté à une espèce de poisson. On n’est pas dans une logique de transversalité.
C&P : Qu’est-ce qui compose ce nouvel aliment auquel vous avez abouti au bout de 5 ans et qui fait toute la différence ?
PS : Il y a plus de dix aliments différents. Des aliments qui sont très structurés et originels comme ceux qui passent par des cyanobactéries, des microalgues et macro-algues. Ensuite, il y a un cocktail un peu plus “terrestre”, mais que les poissons mangent dans leur milieu naturel comme des insectes qui tombent dans l’eau, et cette farine d’insectes présente de multiples qualités. Ensuite, il y a des huiles de poisson de récupération. Nous avons également apporté des protéines de lupin très opérationnelles : certes le lupin n’est pas un aliment que le poisson trouve dans son état naturel, mais il a une forte ressemblance avec les protéines
qu’il recherche. Enfin, d’autres condiments apportent aussi bien des oligoéléments que des vitamines.
C&P : Ces 5 ans de travaux se sont conclus par une séance de dégustation à l’aveugle visiblement révélatrice ?
PS : Nous avons effectivement convié sur la ferme Cachalot une quinzaine de personnes pour ces tests gustatifs, dont des restaurateurs de renom, un grand poissonnier et des membres de l’équipe qui connaissent très bien les poissons. Nous avons fait des tests à l’aveugle, les gens ne savaient pas ce qu’ils mangeaient entre les poissons d’élevage standard, les poissons sauvages, et ceux nourris à l’aliment nouveau. Il n’y avait que des couleurs pour identifier chaque proposition. Les notations portaient sur de nombreux critères : la texture, le goût, la fermeté… Et le verdict a été sans appel : 90 % des testeurs ont choisi les poissons qui avaient été nourris sur la base des formules que j’avais préconisées. Les choix ont été motivés par la fermeté de la chair très proche de celle du poisson sauvage et surtout par la différence gustative.
Les autres piliers d’une aquaculture durable
Depuis plus de 30 ans, Olivier Otto gère sa ferme Cachalot. Une exploitation de 5 parcs spécialisée dans l’élevage de loups et daurades royales dans la baie de Tamaris. Sensible à l’aquaculture multitrophique qui consiste à travailler le plus possible avec le milieu naturel, il nous livre ses “secrets de durabilité” et surtout les fruits de ses nombreuses expériences !
LA DENSITÉ
La densité de poissons doit être en harmonie avec le site, l’espace et l’écosystème de l’exploitation. La densité idéale se situe en dessous de 10 kg de poissons au m3, mais qui dit moins de densité, dit plus de sites à entretenir, moins de production et plus de frais d’exploitation ! “C’est pour ça que beaucoup de producteurs sont plutôt entre 20 et 40 kg”. Tabler sur une densité plus faible a certes un coût plus important à court terme, mais l’approche est plus payante à long terme car ces bonnes pratiques évitent les problèmes d’oxygénation, de pathologie et diminue considérablement les risques de contamination.
LA PROTECTION CONTRE LES PRÉDATEURS
Les oiseaux prédateurs sont devenus un vrai fléau pour l’exploitation piscicole. Les hérons arrivés par dizaines et les cormorans par centaines sont capables de choses inimaginables. Après avoir épuisé les ressources naturelles de la rade de Toulon, ils s’organisent en opérations commandos dans les garde-mangers aquacoles ! “Ils sont capables d’entrer dans les cages, de se faufiler à travers les mailles de nos filets. Nous avons estimé la perte à environ 20 % d’alevins aux cours des deux années où nous n’avions pas anticipé l’impact de ce phénomène” constate Olivier Otto.
LE NOURRISSAGE DES POISSONS
Si, comme nous l’avons vu, l’alimentation des poissons est capitale, leur nourrissage l’est tout autant “car la nourriture, aussi bonne soit-elle, contient des aliments concentrés et riches, beaucoup plus que dans le milieu naturel. Il faut donc être très attentifs sur la façon de nourrir nos poissons. Si on leur donne à manger à satiété, les poissons vont certes grandir plus vite, mais ils seront très gras, avec un foie surchargé. Ils seront fragiles, avec des systèmes immunitaires affaiblis”. Tandis que le nourrissage des alevins doit se faire toutes les heures, celui des adultes est d’une fois par jour en moyenne, de préférence le matin pour que le poisson puisse digérer au moment où l’oxygène est le plus élevé dans l’eau.
L’ÉCOSYSTÈME ET L’ENVIRONNEMENT
Voilà une dizaine d’années que la ferme Cachalot a mis en place des récifs artificiels autour de ses parcs. Aujourd’hui, plus de 3 000 poissons sauvages y habitent à l’année, en majorité des sars. Ces poissons sont la preuve que l’espace est sain et accueillant. En raison de la densité raisonnable, le sédiment sous les cages n’est pas souillé par les déjections des poissons d’élevage, au contraire ! Tout l’azote, le phosphore et le potassium excrétés par les poissons profitent aux planctons, la chaîne alimentaire s’enrichit, les coquillages et les algues poussent mieux et plus vite autour. Tout ça forme un cercle vertueux ◆
Et demain ?
UNE APPELLATION PLUS PARLANTE QU’UN LABEL
Si l’ensemble des démarches initiées et développées par les aquaculteurs de Tamaris sont exemplaires à bien des égards, quelles reconnaissance et valorisation peuvent-ils en attendre ? Une chose est sûre, la réponse ne se trouve pas obligatoirement dans une labellisation à l’égard de laquelle Olivier Otto nourrit quelques réserves : “Le label bio dédié à l’aquaculture a été construit il y a une vingtaine d’années sur un cahier des charges qui ne correspond plus à la réalité de notre métier, très éloigné et même parfois contraire au sens de la durabilité que nous souhaitons lui donner. Finalement, la meilleure étiquette pour nos produits est notre appellation “élevage local de Tamaris Saint-Mandrier” qui fait notre fierté et notre force en garantissant la qualité et la fraîcheur de nos productions. L’idée serait peut-être d’ajouter à notre marque un signe puissant qui symbolise les bonnes pratiques que nous voulons inscrire durablement. C’est une démarche partagée par l’ensemble des producteurs dans la baie de Tamaris, mais sur d’autres sites, c’est hélas encore trop souvent la marge et le profit qui dictent leurs règles”.
LE PRIX À PAYER !
Tout est une question de prix, effectivement… et plus encore dans cette conjoncture économique inédite qui interroge sur les priorités budgétaires. Certes, consommer un loup ou une daurade royale de Tamaris coûte un peu plus cher, mais lorsque la qualité est une garantie, la clientèle est fidèle au rendez-vous. Malgré un prix de vente supérieur, la marge de manœuvre pour les producteurs est mince, au risque de fragiliser la pérennité des exploitations : “Avec les augmentations incessantes, la nourriture de nos poissons a pris 30 %. C’est le premier poste de dépenses chez nous et on est incapable de répercuter
cette hausse dans la même proportion car on sortirait du raisonnable. Donc on réduit tous les autres frais, mais aussi les investissements à fonds perdus comme le projet de recherche sur l’alimentation que nous avons mené, pour capitaliser davantage sur nos acquis”.
Quoi qu’il en soit, le potentiel reste énorme pour développer ce lien entre les producteurs, les consommateurs, la gastronomie et les lieux d’exception. D’ailleurs les professionnels de la baie de Tamaris réfléchissent à un projet global qui irait dans l’intérêt de tous, comme la création d’un village des pêcheurs qui, là encore, serait unique en son genre.
LA VISION D’AVENIR DE PATRICK MENDÈS
“L’aquaculture nouvelle n’a pas plus de 50 ans et comme toute filière émergente, elle a dû répondre à de nombreuses critiques ! À Tamaris, nous avons largement relevé les premiers défis pour donner à nos métiers leurs lettres de noblesse : faire la preuve que l’environnement marin autour des fermes pouvait être préservé ; obtenir la reconnaissance de la qualité de nos productions par une clientèle fidèle et des chefs étoilés ; réduire la dépendance aux poissons sauvages en travaillant à une amélioration extraordinaire de la composition et de l’efficacité des aliments pour poissons d’élevage. Dorénavant, les questionnements sur l’aquaculture de demain ont rejoint une autre dimension bien plus fondamentale et cruciale : il s’agit d’ouvrir le champ de la réflexion sur l’empreinte écologique de nos activités et c’est la vision que j’essaie de porter très modestement en contribuant à une démarche plus globale d’alimentation durable. C’est-à-dire être capable de nourrir, non pas l’humanité, mais au moins une population régionale avec des produits de qualité et une empreinte écologique qui soit soutenable à long terme. Face à cette équation que l’Humanité doit résoudre, à Tamaris nous avons entre nos mains beaucoup d’atouts à faire valoir. Une part d’équation certes infinitésimale, mais essentielle à nos yeux…”.