Qu’est-ce qui déclenche l’attaque d’un poisson sur un leurre ? Beaucoup d’éléments entrent certainement en jeu : la couleur du leurre, sa nage, sa matière, son bruit, son odeur et son goût paraissent les plus déterminants. Essayons d’y voir plus clair à partir d’expériences vécues ! Et de déterminer si l’utilisation de coloris différents ou l’usage d’attractant sont d’une quelconque importance.
La pêche aux leurres en mer est en plein développement depuis une quinzaine d’années. Elle joue essentiellement sur l’aspect visuel, le bruit, l’odeur et sur les vibrations du leurre pour déclencher une attaque. Le pêcheur utilise donc principalement la vue et l’ouïe (sans oublier la ligne latérale qui décèle les mouvements d’eau) et parfois l’odorat des poissons ou des céphalopodes pour les leurrer. Cela amène à se demander quelle importance revêt chaque élément du puzzle, et d’essayer de montrer leur efficience… ou pas.
Le “monomaniaque” de l’étang
Nous connaissons tous un pêcheur qui pêche quasiment toute l’année avec le même leurre de la même couleur ! Ce monomaniaque prend pourtant du poisson, même si son entêtement lui a aussi assuré quelques beaux revers. Je pêche un secteur d’étang où j’en croise un régulièrement : son leurre fétiche est un leurre de surface blanc. Il n’en démord pas, et le noue au bout de sa ligne invariablement, quelles que soient la météo et la saison ! De son point de vue, il est rassuré en utilisant un leurre qui lui a donné du résultat par le passé et qui, de temps à autre, doit lui permettre de capturer des poissons. Et puis, il a pris 99 % de ses loups avec ce dernier (il oublie au passage qu’il pêche 100 % du temps avec !). Qu’en serait-il s’il essayait de varier les coloris utilisés ? De pêcher sous l’eau à certains moments ? Il est assez probable que le nombre de ses captures augmenterait de façon substantielle. Pour quelles raisons ? Tout simplement en raison du fait que les coloris mis au point par les différentes marques de leurres ont des spécificités d’utilisation, qu’on le veuille ou non.
Essayons donc de déterminer les bases qui peuvent permettre de privilégier quelques coloris afin de s’adapter à l’environnement. Certains vont penser par exemple qu’un petit mulet a toujours la même apparence et qu’il est donc inutile d’avoir différents coloris lorsque l’on recherche le loup avec un leurre sensé imiter un petit mulet. Mais vous êtes-vous demandé si le mulet avait le même aspect quand l’eau est cristalline, légèrement teintée, quand l’eau est marron, en plein soleil, par temps nuageux ou de nuit ? La réponse est clairement : non ! À bien des égards, la sélection de leurres pour les conditions d’eau sale est similaire à celle des leurres pour la pêche de nuit. Et il est évident que dans certaines circonstances, la couleur du leurre est déterminante. En résumé, on peut dire que les coloris métalliques, brillants ou holographiques fonctionnent mieux par forte luminosité. Le rouge est très productif en surface ou juste en-dessous, tandis que le bleu est la couleur qui se voit le plus en profondeur. Le coloris chartreuse (jaune fluorescent) et orange sont plutôt polyvalents et ajoutent très clairement une valeur ajoutée indéniable au leurre alors que le noir représente la couleur la plus visible toutes conditions confondues. Les leurres phosphorescents, quant à eux, sont à privilégier de nuit, mais avec parcimonie car ils sont à double tranchant et peuvent aussi bien effrayer le poisson que l’attirer selon les jours. Un vrai casse-tête ! Un jour ensoleillé avec un léger vent, au contraire de notre monomaniaque, essayez donc un leurre dur de surface coloris “ghost” (transparent) ou un leurre souple identique ou de couleur jaune fluorescent en étang salin ! Ils vous tireront d’une situation délicate où vous auriez touché beaucoup moins de poissons avec tout autre coloris. Dans le cas du leurre souple, on voit dans cet exemple qu’un coloris incitatif peut être aussi efficient qu’un coloris imitatif dans ces conditions de pêche difficiles. Pour être plus précis, il s’agissait du One Up Shad 4” coloris Chartreuse et du Flash J Shad 4” coloris 02 (brun translucide). Après plusieurs essais en pêchant à deux côte à côte, nous n’avons pas pu déterminer lequel des deux était le plus efficace dans ces circonstances, les attaques étant équivalentes avec un avantage léger pour un des deux leurres un jour, puis l’inverse la sortie suivante. Une chose est sûre en revanche : la transparence et le coloris chartreuse permettent de toucher plus de loups dans cette situation qu’un coloris mât naturel. Nous en avions fait l’expérience en utilisant le même procédé de test lors de sorties précédentes et c’était sans appel !
Imitatifs ou incitatifs ?
Cela nous amène à nous interroger sur les vertus des couleurs dites imitatives et incitatives : dans quels cas les utiliser ? Il semble qu’une eau teintée, ou que la nuit permettent de tirer toute la quintessence des coloris incitatifs. À cela plusieurs explications : il est probable d’une part, que la nuit, les prédateurs perçoivent les couleurs différemment et que, d’autre part, un coloris jaune fluo par exemple soit bien plus visible. Nous pouvons d’ailleurs le constater nous-mêmes quand nous ramènons le leurre à quelques mètres de soi, on le voit sous l’eau si elle est claire. Ce qui n’est absolument pas le cas avec un coloris naturel. Le Jib 90 SP couleur 10 (jaune fluo) est ainsi devenu mon leurre de base pour les pêches nocturnes du loup en Méditerranée ! Et j’avoue qu’aujourd’hui, j’aurais bien du mal à m’en passer. Il est assez étonnant que les coloris incitatifs soient finalement peu utilisés en France, eu égard aux résultats qu’ils permettent d’obtenir. Ce n’est pas pour rien que tous les concepteurs de leurre en proposent dans leur gamme. Essayez donc !
Mais que voient réellement les poissons ? C’est une bonne question et un bon point de départ pour une réflexion sur la couleur des leurres. Après tout, nous savons que les chiens et les chats ne peuvent voir que le bleu et le vert, les cerfs ne distinguent pas l’orange et les taureaux ne voient pas la couleur rouge. La plupart de ces animaux sont au moins aussi évolués que les poissons, il est donc raisonnable de s’attendre à ce que les poissons aient des limites similaires. Mais, malheureusement, nous ne pouvons pas demander à un poisson quelle couleur de leurre il voit le mieux…
Tant que la technologie ne nous permettra pas de communiquer avec les poissons (et c’est pas pour demain !), on se posera toujours beaucoup de questions ! Mais est-ce vraiment important finalement ? La biologie peut nous venir en aide malgré tout : même si les yeux des poissons sont différents des yeux humains, nous partageons de nombreux éléments communs. Tout comme les oiseaux, les mammifères, les reptiles et les amphibiens, les yeux des poissons sont constitués d’une rétine, d’un iris et d’une cornée. Il y a bien sûr quelques différences, car les yeux de poisson sont adaptés à la vie sous l’eau. La chose importante pour nous pêcheurs est sans doute celle-ci : dans la rétine de tous les animaux que nous avons mentionnés se trouvent des cellules spéciales qui convertissent la lumière en impulsions nerveuses. C’est là que va jouer l’importance de la couleur du leurre pour les poissons.
Jouer sur les contrastes
Il existe deux types de cellules réceptrices de lumière : les bâtonnets et les cônes. Et ils travaillent ensemble : les bâtonnets détectent la lumière et le contraste. Ils peuvent travailler dans des conditions de très faible luminosité et nous permettent (ainsi qu’aux poissons) de voir des formes, des silhouettes et des ombres dans des environnements faiblement éclairés. Mais ils ne détectent pas la couleur.
Les cônes sont responsables de la vision des couleurs. Mais les cellules coniques ont besoin de beaucoup de lumière pour fonctionner, donc lorsque la lumière devient faible, la vision des couleurs commence à s’estomper. Pensez à votre propre vue à mesure que le crépuscule progresse dans la nuit, à mesure que la lumière s’estompe, le dynamisme des couleurs s’estompe également. Mais pas toutes ! Vous verrez toujours mieux un leurre de couleur jaune fluorescent qu’un leurre de couleur naturelle de nuit ! Quelques autres choses intéressantes sont à noter à propos des yeux de poisson : premièrement, les pupilles ne se dilatent et ne se contractent pas. Les poissons vivant dans des environnements assez faiblement éclairés n’ont ainsi pas trop de mal à s’adapter à la lumière ambiante.
La deuxième chose concernant les yeux des poissons est que les cônes vont évoluer pour donner un meilleur contraste de couleur en fonction des conditions d’éclairage. Par exemple, les scientifiques pensent que les carnassiers marins sont particulièrement doués pour distinguer les différentes nuances de bleu, ce qui les aide à voir les proies dans un environnement de lumière principalement bleue. Les poissons d’étang salin évoluent dans des algues ou des eaux colorées de sédiments et peuvent mieux distinguer les nuances de vert, de jaune ou de rouge. En dehors de ces paramètres, il est important de jouer sur les contrastes : c’est-à-dire d’avoir des leurres qui ne soient pas uniformes ou dans le même ton sur tout le corps. Une touche orange, rouge ou jaune fluorescent sera toujours un atout. Selon la couleur de l’eau, une couleur se détachera plus qu’une autre. Disposer de couleurs contrastées permet d’augmenter ses chances.
La profondeur de l’eau joue aussi un rôle bien sûr : en gros, les couleurs sont de moins en moins intenses en descendant en profondeur. Et la raison est simple : il y a moins de lumière qu’à la surface de l’eau. Pensez-y ! Notamment lorsque vous pêchez les céphalopodes dans des zones profondes. Il peut être par exemple intéressant d’utiliser des turluttes phosphorescentes dans ce genre de configuration : amenez de la lumière là où il n’y en a pas !
Dernier point non négligeable : les poissons voient le rayonnement ultraviolet. Certaines marques de leurres ne s’y trompent pas et ont d’ailleurs pris en compte cet aspect pour développer des modèles de leurres réagissant à la photoluminescence sous lampe UV. Et croyez-moi, les résultats sont spectaculaires, en particulier sur le loup.
AVIS D’EXPERT
Benjamin Jacquot, guide de pêche Exotic Fishing Méditerranée
“Pour le thon, j’affectionne particulièrement les coloris bleus et surtout les reflets métalliques. Pour la couleur, plus l’eau est claire et le ciel bleu et plus je pêche avec des coloris bleus, argentés, argentés dos vert, … Quand l’eau est cassée (comme dans le delta du Rhône) ou le temps nuageux, je privilégie des couleurs moins argentées, comme le blanc à dos noir par exemple. Je n’ai que très peu utilisé les coloris incitatifs sur ce poisson et lorsque je les ai utilisés, je n’ai pas obtenu de résultats, ce qui ne m’a pas incité à poursuivre dans cette direction. Concernant la liche, je ne considère pas que la couleur soit déterminante. Il faut surtout être au bon endroit au bon moment pour en toucher !”
David Amiel Ruiz, spécialiste Eging, président de l’association Squid Fishing 66
“Concernant la pêche des seiches et des calamars, je suis un fan des attractants. J’ai pu voir leur apport à plusieurs reprises lors de différentes parties de pêche. J’utilise beaucoup le spray céphalopode XBoost de la marque Meriver. Composé d’huile de sardine, de crevette et de phéromones de calamar, il a l’avantage de ne pas abîmer le revêtement des turluttes. Ma technique de prédilection consiste à vaporiser du spray sur les flancs des turluttes une fois toutes les 5 minutes au départ, puis une fois toutes les 20 minutes à partir du moment où j’ai capturé le premier squid. Lors du premier concours Eging que nous avons organisé à St-Cyprien en février dernier, le vainqueur utilisait de l’attractant ! C’était d’ailleurs le premier concours organisé en France du bord et il a connu un beau succès populaire !”
Nicolas Cadiou, spécialiste du bar en Bretagne
“Je suis persuadé des différences de résultats qui peuvent découler du choix de la couleur du leurre ; je l’ai vécu plusieurs fois de façon tellement forte qu’il n’y avait pas de doute sur l’impact du coloris dans les résultats. Je me souviens en particulier d’une partie de pêche du bar en surface où nous étions 3 sur le bateau et où un coloris déclenchait des attaques nombreuses et sauvages tandis que les autres couleurs du même leurre ne déclenchaient que de rares et timides suivis. J’ai également plusieurs souvenirs où l’attractant a joué un rôle déterminant et évident dans les résultats de la partie de pêche.
Je suis persuadé, qu’à l’image de la taille du leurre, de sa vibration ou de son animation, sa couleur ou son “odeur” sont des composantes qui peuvent avoir beaucoup d’impact dans les résultats… Mais je le suis encore plus concernant l’importance du choix des postes et des moments de pêche.
J’ai commencé par vous parler de souvenirs de parties de pêche durant lesquelles j’ai clairement vu le pouvoir de la couleur ou de l’attractant ; et je dois aussi dire que j’ai connu beaucoup de situations où mes 3 tubes d’attractants et mon large choix de couleurs ne m’ont apporté aucune aide et où un seul leurre sans attractant m’aurait probablement été plus utile si j’avais fait le bon choix de postes. L’efficacité de l’attractant et des couleurs pour moi c’est un “oui, sans aucun doute…” mais seulement à condition de pêcher là où sont les poissons”…
Des goûts et des odeurs !
Nous savons que les espèces de poissons sont capables de sentir. Les requins peuvent “sentir” le sang à des kilomètres de distance, et un bon amorçage fera venir des poissons de loin sur votre coin de pêche. Il est certain que les carnassiers marins couramment recherchés peuvent réagir à une odeur dans l’eau, il existe de nombreuses preuves empiriques que l’odorat du poisson fonctionne plutôt bien. Tout le monde connaît le copain qui ne jure que par tel attractant qui lui a permis de réaliser une pêche exceptionnelle. Les parfums utilisés varient ; il y en a pour tous les goûts si j’ose dire ! De l’anis (X-Layer), de l’ail (Gambler EZ), du café (Strike King), du calamar (Keitech), arôme mystérieux (Adusta) et j’en passe… La plupart des leurres souples sont imprégnés d’attractants et salés.
Est-il possible que l’utilisation d’un attractant soit capable de transformer une journée sans poisson en un festival de prises ? Non certainement pas, mais cela peut vous procurer quelques poissons supplémentaires. Personnellement, je ne pense pas qu’un attractant attire un poisson de très loin ou puisse le rendre hystérique. Mais, il est un aspect que nous n’avons pas encore abordé et auquel on ne pense pas forcément : c’est la vitesse. La vitesse de déplacement du leurre va être favorable ou pas à l’utilisation efficace d’un attractant : sur des pêches très lentes comme pour le calamar ou la seiche ou encore en verticale, on peut penser que l’odeur a le temps de se répandre et peut jouer éventuellement son rôle. Cependant, même en pêchant plus rapidement (par exemple sur le bar), l’attractant n’est pas inintéressant : il est fort probable que le poisson garde plus longtemps en bouche un leurre souple qui a un goût agréable pour lui, plutôt qu’un leurre qui “pue” le pétrole ! Les attractants vous permettront dans ce cas de rater moins de poissons au ferrage car il va garder le leurre en bouche plus longtemps. Des leurres comme le One Up Shad (Sawamura), dont la réputation n’est plus à faire, doivent sans doute une partie de leur succès à l’attractant dont ils sont imprégnés. En l’occurrence, il s’agit du Trump qui est très utilisé dans le monde halieutique et dont la composition est gardée secrète. Le Catch Scent d’Halco composé essentiellement de phéromones de poissons nous vient d’Australie et existe en deux versions : le bleu est destiné à l’eau salée et le vert pour l’eau douce. Le vert est le plus populaire, même auprès des pêcheurs en mer. D’autres attractants se sont aussi fait une réputation certaine au fil des années comme le Trigger X (Rapala) ou encore le Gulp (Berkley).
La limite de l’utilisation des attractants est la matière qui constitue le leurre : une turlutte va bien absorber un attractant grâce à ses tissus, idem pour un leurre souple dans une moindre mesure. En revanche, un leurre dur ne va pas permettre de jouer sur ce paramètre. Ce modeste article nous a permis d’aborder les couleurs des leurres que les poissons peuvent voir en fonction de leurs adaptations oculaires et de leur environnement, ainsi que l’impact que peut avoir l’usage d’un attractant. Mais il manque encore une pièce au puzzle : ce n’est pas parce que les poissons peuvent voir une couleur particulière ou sentir une odeur qu’ils vont prendre. Et s’ils ne peuvent pas voir une couleur particulière, cela ne signifie pas non plus qu’ils rejetteront votre leurre. Il y a certainement des moments où la couleur du leurre que vous choisissez peut faire toute la différence, mais pas forcément tout le temps. Ce serait sans doute une erreur de croire que la couleur du leurre est toujours importante, et il en va de même de l’usage des attractants. La taille du leurre, son utilisation, la qualité des dérives, le grammage utilisé constituent autant de paramètres à maîtriser pour pouvoir bénéficier du crédit de la couleur choisie !