Nous sommes pêcheurs. Nous sommes passionnés pour tout ce que peut nous procurer cette activité : émerveillement, partage, surprises ou encore sensations fortes. Tous ces mots sont pour nous une évidence. Mais, de plus en plus, notre société met en exergue des sujets qui stigmatisent notre discipline souvent de façon négative, voire anti progressiste. Ce que nous voyons comme beau, d’autres le voient comme une hérésie symptôme d’une véritable contradiction : comment peut-on prendre du plaisir en faisant souffrir des animaux ? Voici une question qui dérange, qui interroge, qui énerve. Ne sommes-nous, pêcheurs, que de simples préleveurs sans conscience et sans cœur ? Voici un vaste débat qui nous plonge au cœur de la morale et de notre esprit de responsabilité.
UNE LOGIQUE ANTISPÉCISTE QUI GAGNE DU TERRAIN : LA SOUFFRANCE ANIMALE AU CŒUR DE LA TEMPÊTE !
Le mouvement peut parfois paraître extrême. Son but est de choquer pour éveiller les consciences car il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Force est de constater qu’il devient urgent de prendre conscience de l’impact néfaste de notre société moderne sur les animaux, sauvages ou captifs. À l’heure où l’effondrement de la biodiversité s’accélère de façon dramatique, où la consommation de produit animal atteint des records, et où nos modes de vie nuisent à l’équilibre des écosystèmes naturels, comment ne pas nous interroger sur notre rapport aux autres vivants ? La logique antispéciste place chaque espèce animale au même niveau que l’homme. Les animaux sont des êtres sensibles, capables de souffrir ou d’être heureux, de ressentir des émotions. Doucement, cette prise de conscience fait son chemin et depuis 2017, le Code civil reconnaît l’animal comme un être sensible, en opposition à un bien meuble, simple possession de l’homme. Cette évolution donne donc des droits aux animaux et toutes manifestations de cruauté envers eux, passibles de condamnation. Les mentalités évoluent et nous prenons conscience que les comportements du passé sont à proscrire et c’est un véritable progrès, éthique et moral. Alors comment nous positionner, nous pêcheurs, au cœur de la polémique sur la souffrance animale ? Pourquoi sommes-nous stigmatisés et pointés du doigt comme étant les responsables d’un problème finalement bien plus vaste ? Une chose est sûre, les dernières études montrent que piquer un poisson puis le remonter jusqu’à la surface génère, à minima, un stress violent. Le débat est encore ouvert concernant la souffrance, c’est-à-dire le ressenti de la douleur par l’animal. Malheureusement, les poissons ne parlent pas pour nous dire ce qu’ils ressentent si ce n’est parfois à travers un regard. Chaque remontée est particulière. Chaque poisson piqué est un cas différent. Prenons conscience que, dans la nature, les poissons ne sont pas épargnés. La “piqûre” et, par extension, la douleur qu’elle engendre, font partie intégrante du quotidien de nombreux poissons. Imaginez une dorade royale broyer une coquille d’huître ou un loup avalant un petit sparidé à la dorsale dressée. S’il est vrai qu’un hameçon avalé est souvent mauvais signe pour la survie d’un poisson, ce dernier piqué dans la gueule apparaît plutôt comme la routine de nombreuses espèces qui se piquent systématiquement en s’alimentant. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des poissons mordre une seconde fois après avoir été remis à l’eau. Voici un constat qui montre qu’une simple piqûre d’hameçon dans la gueule n’arrête pas un poisson devant le besoin naturel de s’alimenter. De quoi “alimenter” notre réflexion… Si l’homme doit être placé au même niveau que toute autre espèce sur Terre, n’a-t-on pas le droit de pêcher pour nous nourrir sainement ? Consommer un animal prélevé dans son milieu naturel n’est-il pas se mettre au même niveau que le lion qui mange la gazelle ou le chat qui mange la souris ? N’en déplaise aux détracteurs de notre pratique, pêcher est un droit. La souffrance, même s’il est évident qu’elle doit être limitée, fait malheureusement partie intégrante de la nature.
DES ENJEUX DE TAILLE
Depuis que nos ancêtres sont descendus des arbres, se sont dressés sur leurs 2 jambes, et ont fabriqué les premiers outils, l’Homme est devenu un cueilleur, un chasseur puis, par extension, un pêcheur. Depuis plus de 3 millions d’années, nous chassons et pêchons pour répondre à un besoin physiologique simple : se nourrir. À cette époque et jusqu’à il y a encore quelques milliers d’années en arrière, nous mangions pour survivre et pour être plus forts. Là était le seul but. Le monde d’aujourd’hui est bien différent et le plaisir, sans concessions, est devenu la norme. Nous surconsommons les aliments d’origine animale au-delà de nos besoins pour la simple satisfaction de nos papilles. La protéine animale est devenue un plaisir gustatif, un impératif du repas quotidien, au point que rares sont les personnes qui savent s’en passer. Les conséquences de cette surconsommation sont naturellement dramatiques : élevages intensifs (1,2 milliards d’animaux d’élevage terrestre et aquatique tués rien qu’en France en 2018), surexploitation des ressources, pollution et destruction des milieux naturels. C’est un fait et il faut l’accepter ! Le poisson fait partie des aliments les plus consommés au monde et les chiffres font froid dans le dos. En 1960, un individu consommait en moyenne 10 kg de poissons par an. Aujourd’hui, il en consomme le double, près de 20 kg, alors que, dans un même temps, la population mondiale a presque triplé, passant de 3 milliards à 7,7 milliards d’habitants ce jour. Je vous laisse faire le calcul. Face à cette demande grandissante, les pêcheurs professionnels du monde entier ne font qu’accroître l’intensité de pêche, quitte à mettre en péril l’équilibre des écosystèmes marins. L’augmentation de la pression de pêche associée à des pratiques non durables ont provoqué l’effondrement de plusieurs populations de poissons et on estime que 66,9 % des stocks de poissons sont déjà exploités à leur niveau durable maximal alors même que la mer constitue la principale source de protéines pour presque un tiers de l’humanité. Bref, face à ce constat alarmiste, comment le pêcheur plaisancier doit-il faire évoluer sa pratique ? Pourquoi le pointer du doigt ? Si j’ai personnellement le sentiment que nous prenons le rôle de boucs émissaires face à une problématique qui nous dépasse de loin, un pêcheur, une canne à la main, n’est-il pas une poussière face à cette montagne ? Il n’en demeure pas moins qu’il nous faut prendre conscience qu’en tant que pratiquant, il nous faudra faire preuve d’exemplarité dans le futur, à la fois pour traverser cette tempête, mais aussi pour pouvoir continuer à profiter de notre passion tout en protégeant la ressource.
La pêche, c’est quoi ?
- Comprendre l’environnement aquatique et les écosystèmes.
- Un savoir-faire précis et technique demandant un long apprentissage.
- Une activité Outdoor d’évasion, en pleine nature, en mer ou en eau douce.
- Chercher à sortir un poisson de l’eau pour son Plaisir et/ou sa consommation.
- Partager des émotions en pleine nature ou à la maison, de la mer à l’assiette.
- Admirer la faune aquatique et tenter d’en percer quelques mystères.
Ne mettons pas tous les œufs dans le même panier. Nous, pêcheurs, ne sommes pas responsables de tous les maux. Notre discipline ne mérite pas une stigmatisation négative aussi forte. Dans “un monde urbain où la peur dirige les peuples, où la pertinence de l’information se mesure souvent en nombre de “likes” sur les réseaux sociaux, et où l’écologie se pratique dans les salons parlementaires et sur les plateaux télé, la pêche à la ligne en tant que sport ou loisir a un sérieux problème”. Les récentes démarches politiques et manifestations visant, entre autres, à interdire la pêche à Paris et ailleurs nous le montrent bien. Du 8 au 14 mars 2018, 60 affiches géantes de 2 x 3 m rappelant que les poissons, comme les autres animaux, souffrent et désirent vivre, sont présentes sur les quais du métro parisien (cf. ci-dessus). Pour la première fois dans le monde probablement, un très large public se trouve ainsi touché par cette importante thématique animale. Nous nous souvenons tous de cet épisode de 2021 durant lequel l’association PAZ (Paris Animaux Zoopolis) lançait une campagne publicitaire pour interdire la pêche au vif dans la capitale. Une attaque frontale lancée aux pêcheurs de loisir qui sonnait comme une alerte peut-être prémonitoire de nos futurs combats. Les réactions face à ces évènements sont un mélange entre la colère de cette stigmatisation injuste, la peur de voir nos libertés mises en péril et l’exaspération face à une telle méconnaissance de notre passion. Nous voilà avec un goût amer en bouche. Nous voilà épris du sentiment d’être considérés comme autre chose que ce que nous sommes et jugés par ceux qui n’y connaissent rien. Alors que répondre à nos détracteurs ?
CONSTRUIRE UNE ÉTHIQUE DE LA PÊCHE DE LOISIRS : ALLONS PLUS LOIN
Nous voici face à nos responsabilités de pêcheur d’une part, mais aussi d’amoureux de la nature d’autre part. Oui, il y a une éthique du pêcheur et nos comportements doivent évoluer. Il est temps de démocratiser les “bonnes attitudes” : respecter les tailles légales de capture bien évidemment, pêcher pour sa propre consommation, ne pas tuer pour rien et savoir s’arrêter parfois. Remettre un maximum à l’eau ou encore, penser au bien-être du poisson une fois ce dernier sorti de l’eau. Il devient nécessaire d’adopter des comportements responsables. Non pas pour se mettre dans le rang, adopter un comportement politiquement correct et faire plaisir à nos dénigreurs. Mais parce que c’est le but de l’histoire. Progresser vers un idéal qui tend vers le Bien. Nous voilà au cœur de notre réflexion. Si la Nature nous donne, que lui donne-t-on en retour ? Comment agissons-nous pour la préserver ? À nous de construire de vrais repères et de définir les normes morales qui vont dicter nos comportements futurs. Le pêcheur prélève, il pollue c’est vrai (matériel laissé au fond de l’eau ou sur son poste de pêche, empreinte carbone…). Alors comment laisser une empreinte positive sur notre environnement et avoir un comportement éthique ? Une éthique, c’est définir l’ensemble des normes morales et faire évoluer ses actions en fonction de ses critères. C’est la ligne directrice “moralement correcte” qu’il faut suivre pour être en accord avec le “Bien”. C’est le comportement à adopter et celui que nous allons transmettre aux générations futures. À nous de réfléchir au “Comment agir” dans notre pratique pour avoir “la conscience tranquille”. Ce qui est certain, c’est que la pêche “en soi”, est à mes yeux une activité magnifique. Il ne faut pas stigmatiser les comportements déviants et en faire des généralités. Prévenir plutôt que guérir. Éduquer plutôt que sanctionner. Éclairer plutôt qu’interdire. Nous voilà au cœur des enjeux de demain qu’il nous faudra appréhender, au mieux, pour conserver nos droits.
NOUS, PÊCHEURS, NOUS SOMMES BIEN PLUS QUE DE SIMPLES “PÊCHEURS” !
Nous ne sommes pas des monstres messieurs-dames les détracteurs, bien au contraire. Un pêcheur à la ligne est bien plus qu’un simple préleveur, du moins j’ose le croire et je l’espère. Car côtoyer la nature, c’est apprendre à l’aimer, à l’admirer et à la respecter. C’est mieux la comprendre et donc vouloir la protéger. “L’émerveillement est le premier pas vers le respect” : c’était le dicton d’une célèbre émission TV qui avait pour but d’éveiller les consciences par la connaissance. Il suffit de voir une magnifique girelle aux couleurs éclatantes ou encore une dorade grise aux reflets bleutés sortir de son élément pour comprendre qu’un poisson est bien plus que celui que l’on trouve sous cellophane, en supermarché ou dans une simple boîte de conserve. Pêcher est une porte ouverte sur la beauté de la Nature et sur un monde qui nous est inconnu. C’est un pont d’or vers le beau, vers le mystérieux, vers l’inaccessible. En comprenant tout cela à travers notre passion, comment ne pas ressentir le devoir de protéger tout en assumant notre condition de “prédateur” ? À travers la pêche, nous développons notre rapport à la nature mais également notre rapport aux autres. Si notre activité peut se pratiquer en solo pour apaiser l’esprit, elle est bien souvent une opportunité de partager des moments inoubliables avec nos amis, nos enfants ou de simples connaissances avec qui des souvenirs vont vite se créer. Elle est un véritable accélérateur de lien social. Que ce soit sur l’eau ou au bord de l’eau, la pêche est source de surprises, d’inattendus et d’émotions. Comme l’évoque souvent votre magazine préféré, la pêche est un symbole de vie, “de la mer à l’assiette” ou devrait-on dire, “de la canne à l’assiette”. Quoi de plus naturel que de partager, entre amis ou en famille, le fruit d’une session autour d’une bonne bouteille de vin. Oui, la pêche, ce sont des valeurs fortes et puissantes, qui donnent de bons et beaux repères à nos enfants. À vous tous qui savez de quoi je parle, mes plus beaux souvenirs d’enfance resteront ceux passés dans les marais à pêcher les anguilles ou à courir après les crevettes sur l’estran. Ces moments-là, personne n’est en droit de nous les voler car nous faisons aussi partie de la Nature. Comment conclure ce vaste sujet en seulement quelques lignes. “Pouvoir pêcher” EST une liberté fondamentale. Celle de pouvoir se nourrir, c’est-à-dire de répondre à ses besoins, dans son environnement naturel et par ses propres moyens. Je ne peux imaginer la pêche interdite par “éthique” et être condamné à manger du poisson en conserve ou pêcher à travers un casque de réalité virtuelle car la porte de “notre nature” nous est fermée : une hérésie. Cependant, tout droit impose des devoirs. “Prélever, respecter et préserver” semble être une bonne combinaison pour continuer à pratiquer notre passion “en conscience”. Nous interagissons avec notre écosystème, mais cela ne doit pas être à sens unique. Ma conviction est qu’un pêcheur, une canne à la main, ne videra jamais la mer. À nous de faire ce qu’il faut, chacun à son niveau, pour que notre écosystème se maintienne de façon durable. Soyons conscients que nous faisons partie d’un tout dont l’équilibre ne tient aujourd’hui qu’à un fil…
Une éthique de la pêche ?
- Prélever avec parcimonie pour son propre besoin est un droit fondamental.
- Respecter le “Vivant”, c’est ne pas gaspiller ce qui est pêché et le consommer.
- Relâcher un maximum de poissons possible dans les meilleures conditions.
- Prendre conscience de la souffrance occasionnée pour mieux respecter.
- Respecter l’environnement dans lequel on évolue (0 déchet).