Un marin d’eau douce chez les pêcheurs corses

Lorsqu’on vient pour la première fois sur l’île de Beauté, outre les noms de lieux qui semblent tous familiers tellement le tourisme les a popularisés, ce sont les noms de poissons qui font écho à mon imagination. Pagre, denti, mérou, sériole, loup, thon, pélamide… C’est tout ça qu’on va pêcher ? Enfin, c’est ce qu’on a en tête !

En descendant en Corse avec la Navicom Academy, c’était l’occasion de confronter des types d’utilisation différents entre l’eau douce et la mer. C’est l’essence même du concept mis en place avec Navicom, le partage du savoir pour tous les utilisateurs d’électronique embarquée. C’est aussi mon ADN en tant que pêcheur-voyageur, je continue sans cesse de croiser les informations et d’apprendre. La technologie embarquée nous fournit rapidement une grande quantité d’informations, mais ne doit pas faire oublier les fondamentaux de la pêche : l’interprétation de ses données dans le cadre des écosystèmes que nous pêchons. Pour ce petit périple d’une semaine, je fais route avec Julien, savoyard exilé en Finistère avec qui je pêche en mer régulièrement. Il travaille lui aussi pour Navicom. Son terrain de jeu, ce sont les courants de la pointe bretonne. En préambule de notre tour de Corse à la rencontre des pêcheurs, nous descendons pour deux jours de pêche, rejoindre l’ami Cédric de Bonifacio fishing. La rencontre s’annonce intéressante puisque, depuis pas mal de temps déjà, il utilise un moteur avant Ultera 80 lbs pour contrôler sa pêche et ses dérives. L’objectif des deux jours de pêche sera de pêcher en “dérive active” et traîne lente avec des appâts morts ou vivants. Suivant les zones, Cédric va nous amener sur des sérioles, des pagres ou des dentis. Ce seront nos trois cibles principales en essayant d’éviter les bancs de grises qui déchiquètent les appâts.

La croisée  des expériences

Il est curieux de constater que finalement le dernier cri de la technologie est utilisé, non pas majoritairement par des pêcheurs aux leurres, mais plutôt pour des techniques que je qualifierais de plus traditionnelles. Simplement parce qu’elles utilisent des appâts naturels, ce qui n’enlève rien à la sophistication des techniques.

L’utilisation des moteurs électriques en action de pêche est longtemps restée l’apanage des pêcheurs en eau douce. Je pense qu’on peut lier cela à tout un tas de facteurs inhérents aux contraintes de pêche en mer qui rendaient le matériel globalement inadapté. Bateaux lourds, haut sur l’eau, design non compatible car non pensé pour leur installation… autant de points noirs qui ont écarté les pêcheurs en mer de cet outil. Pourtant, outre-Atlantique, de nombreuses techniques de pêche en mer utilisent depuis longtemps les avantages des moteurs électriques. En France, alors que nous aurions pu croire que les pêcheurs aux leurres bretons et alentours se seraient largement inspirés des techniques de pêche en eau douce, on constate que la révolution vient du Sud. Mais c’est peut-être une vision chauvine de sudiste ? Sur la façade atlantique, la pêche est fortement liée aux courants des marées. Les pêcheurs n’ont pas tout de suite vu l’avantage des moteurs électriques et restent globalement tributaires de la gestion des courants naturels pour gérer leur pêche en dérive. L’autre méthode consistant à pêcher ancré, dans ce cas-là on utilisera souvent des techniques d’amorçage pour faire venir ou tenir le poisson sur le poste. La révolution vient donc des pêcheurs du Sud qui ont compris l’avantage de générer leurs propres dérives en l’absence de marées ou de forts courants. Ils utilisent toutes les ressources modernes pour ne pas attendre que le poisson passe dessous, mais pour faire passer le bateau sur le poisson ou la structure détectée au sondeur. Et puisqu’aujourd’hui il est possible de piloter son moteur avec son sondeur via le “One Boat Network”, pourquoi s’en priver ?

Tout débute par la pêche des “vifs” : les calamars

Les calamars se déplacent beaucoup sur une zone, mais aussi dans la couche d’eau. Chaque jour, il faudra donc les chercher à l’aide du sondeur ou des infos locales (ça marche bien aussi).  Au sondeur, ne vous attendez pas à de gros échos bien forts. Cherchez plutôt de petits traits parallèles qui forment une sorte de dentelle. Parfois, ils sont un peu difficiles à repérer quand ils se mélangent aux bancs d’anchois ou de sardines. Il ne faut pas hésiter, lorsque vous savez que des calamars sont dans la zone, à descendre vos turluttes sur et autour des boules de “mange”. Une fois le banc repéré, place à l’utilisation de l’ancre GPS de moteur avant électrique : le spot lock. Cela va permettre de descendre nos trains de calamarettes précisément et d’espérer pouvoir faire plusieurs captures avant de sortir du banc. Le moteur va nous maintenir sur les échos et, si nous les perdons, quelle que soit la direction de la dérive naturelle, nous pourrons prospecter autour du premier point pour les retrouver rapidement. Utilisez les informations du sondeur pour gagner du temps et prospecter la bonne couche d’eau immédiatement. On peut pêcher les calamars principalement avec trois animations différentes, tout en utilisant le même montage.

 MONTAGE “DROP SHOT”

 Suivant la nature des fonds, vous prendrez soin d’ajouter en fin de train de calamarettes un mor­ceau de nylon “cassant” afin de pouvoir sacrifier votre lest en cas d’accrochage. En fonction de la profondeur, vous adapterez le poids de votre lest pour ne pas perdre de temps à la descente avec des poids trop légers. En bateau, vous plomberez régulièrement entre 15 et 40 grammes. Quelle que soit l’animation, j’ai une préférence pour les calamarettes flottantes en tissus, d’autant plus pour les animations lentes. Elles “présentent” mieux sur les phases de poses et évitent de s’accrocher quand on pêche sur le fond. Pensez à varier les couleurs de vos turlutes pour ne pas passer à côté de la pêche.

Quand vous souhaitez prospecter, car vous ne trouvez pas de concentration de calamars au sondeur, vous pouvez vous déplacer en traîne lente au moteur électrique en prenant soin de présenter vos montages à différentes hauteurs pour maximiser vos chances jusqu’à ce que vous trouviez la bonne profondeur. Pour cette technique, vous privilégierez des animations lentes, voire pas d’animation, le déplacement du bateau fera le reste. Le moteur sera un grand avantage dans cette prospection car, encore une fois, il va vous affranchir des vents trop forts qui vous écartent systématiquement de la zone.  Les deux autres techniques principales d’animations type eging sont plus dynamiques. Le “twitching” va consister à animer le leurre dans une couche d’eau donnée en imprimant une sorte de walking the dog.  Le “ripping” est une animation en traction où on imite un mouvement de fuite. Pour ces deux techniques, ce sont souvent sur les temps de pauses que nous aurons les attaques et, en étant un peu patient après la première touche, il n’est pas rare de faire un doublé. C’est dans ces moments que la fonction ancrage de votre moteur va vous donner un avantage certain, puisqu’elle vous permet de rester plus longtemps sur le banc et d’enchaîner les touches. Pour rechercher les calamars blancs qui sont les meilleurs “bonbons” pour les prédateurs, on va cibler de préférence les zones de fond mou de type sablo-vaseux.

Place à la pêche !

Une fois le vivier rempli de calamars, le jour pointe et il est temps de faire route vers les zones de pêche pour chercher sérioles, pagres et et autres dentis. Cédric connaît bien ces zones mais, en tant que pêcheur globe-trotter, j’aime bien avoir un œil sur la carte du sondeur pour mieux comprendre les conseils du guide et ce qui se passe. On va rechercher des zones de roches proches des tombants de la côte et on va dériver sur le tombant de ces hauts fonds ou plateaux. Sur la carte, ce ne sont pas les spots qui manquent, que ce soit en sortie du golfe de Santa Manza ou entre les bouches de Bonifacio et vers le Capot di Feno. Pour tester les zones et voir l’activité, les premières passes en dérive naturelle “passive” se feront au fire-ball. Cette méthode a l’avantage d’une mise en œuvre facile et de pouvoir faire pêcher plus de pêcheurs sur le bateau. Mais en discutant un peu et en me familiarisant avec cette technique très efficace, on tombe d’accord sur quelques constatations. Pour pêcher correctement, il faut maîtriser le choix du bon grammage de son fire-ball afin d’avoir le meilleur compromis entre votre vitesse de dérive et une présentation parfaite du montage. Le but est de garder le contact en pêchant le plus léger possible pour que votre vif ne se fatigue pas et qu’il puisse “librement” avoir ce com-portement de fuite qui va déclencher les attaques lors de l’approche des prédateurs. On adaptera donc le poids du fire-ball en fonction de la taille (puissance de nage) du vif et de la dérive. Et déjà ici vous pouvez commencer à entrevoir quel intérêt nous allons avoir à utiliser un moteur électrique avant. La vitesse naturelle de votre dérive va faire que si elle augmente (vent, courants), vous devrez augmenter le poids du montage pour maintenir un angle raisonnable de pêche et donc sacrifier l’attractivité de votre montage. Arrivé à un certain poids, le lest va empêcher les mou­ve­ments de votre vif, le fatiguer rapidement et diminuer ainsi son attractivité. Une fois que vous avez trouvé votre sens de dérive, vous allez caler l’orientation de votre moteur dans le sens opposé à celle-ci et enclencher le maintien de cap pour qu’il recherche tout le temps cette direction. Il vous reste ensuite à régler la vitesse de votre moteur pour contrer le courant et ainsi réduire votre angle de pêche. En clair, en “remontant contre le courant”, vous ne remontez pas mais vous ralentissez, vous pêchez plus à l’aplomb et vous pouvez ainsi diminuer votre poids de fire-ball. Autre avantage, c’est de passer plus lentement sur des fonds très accidentés avec moins de risques d’accrochage, en restant plus près des cassures, ce qui est un avantage quand les poissons sont inactifs et ne montent pas. L’avantage de ralentir une dérive “naturelle” et de présenter l’appât dans le sens du courant, c’est que les prédateurs en poste seront orientés face au courant, ce qui facilite les attaques. Mais ici, en Méditerranée, même si les courants existent, on va souvent s’en affranchir en contrôlant totalement nos axes de dérives au moteur électrique afin de gravir ou de descendre les cassures. Nous suivrons rarement les courbes de niveaux car Cédric nous confirme que ce n’est pas la meilleure stratégie. C’est dans ce contexte que nous allons changer de techniques de pêche pour passer sur de la traîne lente.

À la traîne : une pêche plus active qu’on ne le croit !

La traîne lente est une pêche active qui va consister à passer un appât en suivant le fond, plus ou moins loin en fonction des espèces que l’on cible. Pour les pagres et dentis, il est conseillé de rester 5 m au-dessus du fond environ; pour les sérioles, débutez à mi-hauteur et ajustez en fonction des échos. L’utilisation de tresses multicolores et/ou d’un compteur vous aideront à ne pas perdre le suivi du fond quand vous aurez à suivre le contour du fond. Pour cette technique, un lest de type plomb gardian clipsé sur le corps de ligne est utilisé. L’avantage du clip, c’est qu’on va le défaire rapidement pour pouvoir finir le combat sur les 10 derniers mètres du bas de ligne. En comparaison au fire-ball, cette technique présente un appât de façon optimale. Monté sur un montage tandem avec un hameçon tracteur piqué en bout de tube et un terminal sous la tête, le calamar est entièrement libre et va se comporter beaucoup plus naturellement. Je pense que c’est là le secret véritable de cette pêche, une présentation extrêmement naturelle avec laquelle il est difficile de rivaliser. Ici pas d’animation, on utilise des cannes spécifiques avec des scions relativement souples, mais comportant beaucoup de puissance très “haut” sur le blank. Le côté parabolique du scion permet d’absorber pour partie les variations des vagues, ce qui réduit les à-coups sur le plomb et l’appât. Il permet aussi de ne pas être trop en direct lors des touches, ce qui augmente le ratio de ferrage réussi, car le poisson a le temps de se tourner avant de sentir une véritable résistance. Cela limite les risques aussi lors des départs sur de gros spécimens. Enfin, compte tenu du poids du lest, le scion souple va permettre de rester en contact avec le poisson, même avec de la houle, et éviter les décrochés. On peut, bien entendu, pratiquer cette pêche de façon classique avec un moteur thermique, mais on aura souvent le problème de ne pas pouvoir ralentir à l’extrême lorsque c’est nécessaire. Cédric de Bonifacio Fishing a développé au fil des ans une expérience de traîne lente entre 0.8 et 1.2 nœuds au moteur électrique, en utilisant un Minn Kota Ultéra 80 lbs monté en réseau avec deux sondeurs Humminbird Solix 12. Les avantages du “one boat network” (réseau) sont multiples : pilotage de toutes les fonctions du moteur électrique depuis l’écran tactile des sondeurs, possibilité de suivi de traces enregis-trées, suivi de contours bathymétriques sur les cartes Humminbird coastmaster et Autochart live. Un écran est dédié à la cartographie et aux informations du moteur électrique, l’autre au sondeur pour la détection des poissons. Après avoir quadrillé la zone rapidement pour détecter l’activité, échos ou bancs de “mange”, le but est de se positionner un peu en amont pour avoir le temps d’immerger nos lignes.

Avec l’habitude, on pêche avec deux lignes, mais pour débuter, il est conseillé de faire ses armes avec une seule, ce qui permettra de prendre ses marques pour zigzaguer. J’ai trouvé certaines similitudes avec nos pêches en verticale d’eau douce sur ce point d’ailleurs. En effet, lors de ces “dérives actives”, les virages constituent autant de points d’accélération et de ralentissement qui, très souvent, déclenchent les touches. Il ne faut pas hésiter à ponctuer vos trajets de traînes de changements de cap qui auront un effet positif. Je parle de pêche active car si vous pensez faire de la traîne sans jamais toucher vos lignes, c’est perdu. On dirige nos trajectoires pour recouper les zones de détection que l’on a repérées, ou pour passer au-dessus de points “remarquables” (épaves, dalles de roche, tombants…) Il faut aussi surveiller l’évolution du fond et immédiatement réagir pour monter ou baisser son montage. Il est important de ne pas trop laisser votre montage trop proche du fond au risque de voir toutes vos prises venir casser dans les roches; les prédateurs connaissent mieux le terrain que nous… Cela paraît évident dit comme ça, mais les réglages doivent être faits de façon rapide tout au long de votre traîne. Si vous n’utilisez pas de tresse multicolore pour vous aider à gérer la profondeur, il faudra régulièrement reprendre contact avec le fond pour bien se caler. La fonction “cruise control”, qui a pour but de réguler la vitesse, va aussi nous aider à maintenir une profondeur régulière. Pendant ce séjour, j’ai aussi pu constater qu’il est toujours plus facile de faire bouger les poissons vers le haut, ce qui plaide pour être attentif, et constamment ajuster votre montage en fonction de la profondeur des échos. Les réglages des sondeurs en mer sont assez simples à faire, que ce soit pour les Solix ou les Helix, on va passer en sensibilité mode max pour pouvoir détecter de petites cibles plus profondes et ensuite on jouera sur le filtre de sensibilité pour affiner. Vous l’aurez compris, cette traîne lente à laquelle Cédric nous a initiés est vraiment une pêche active où l’attention que vous porterez aux détails pour bien présenter vos appâts sera primordiale. La mise en œuvre est simple en soi, mais, pour faire la différence en termes de prises, vous devrez avoir l’œil sur votre sondeur et sur la carte. Bien entendu, la fraîcheur de vos appâts et leur vivacité sont aussi un atout majeur. Nous n’avons pêché qu’avec des calamars, mais, en fonction des espèces et des saisons, l’appât peut avantageusement être un maquereau ou un sévereau. Sur cette session découverte pour moi, nous avons pris une grande diversité d’espèces comme vous le verrez dans la vidéo. Mais, à chaque fois, c’est en recherchant de façon un peu spécifique que nous avons pu cibler chaque poisson. Les dentis et pagres sur des plateaux de roches et de blocs, les sérioles plus en mode pélagique sur des zones de tombants par exemple. Comme dans beaucoup de pêches, je me suis aperçu que l’on a souvent l’explication de la réussite sous les yeux, mais que nous ne sommes pas attentifs aux détails. Merci à Cédric et à toute son équipe de nous avoir guidés avec Julien dans ce bout de Corse magnifique. Il a su nous montrer ces détails que j’ai hâte d’aller tester en Bretagne !

LE MATÉRIEL UTILISÉ

Les cannes

> canne Artico Phénice 8 lbs (puissance spécifique cannes traîne) – moulinet Shimano Talica 12 – 500 m de tresse YGK PE3 en 60 lbs et 10 m bas de ligne YGK 40 à 58 lbs ;

> canne Hearty Rise Slow jigging 3 avec un Saltiga 15hl ;

> canne Hearty Rise sealite 20/80 en 20 lbs avec un Saltiga 3 500 h.

Les montages

> clip de ligne Top game pour fixer les plombs gardians de 500 à 750 gr ; au-delà, le combat n’a pas de signi-fication car les cannes devront être trop puissantes ;

> montage tandem avec hameçon tracteur 2/0 réglable sur ligature ; hameçon terminal 5/0, taille variable en fonction de la taille du vif ; bas de ligne en 50 lbs jusqu’à 80 lbs si on pêche sur une zone rocheuse.