Une pêche à pied vraiment pas comme les autres !

Cette session de pêche à pied est unique par bien des aspects : son accessibilité, son biotope unique pour la région, et la nécessité d’avoir un coefficient de marée d’un minimum de 110 pour la pratiquer. Limitant ainsi naturellement son accès, et permettant à la faune locale de se développer en toute quiétude, il n’est pas rare de trouver des coquillages d’exception pouvant atteindre des tailles XXL, comme nous allons pouvoir le constater aujourd’hui !

 Après  de multiples reports, c’est enfin le jour J ! La marée est bonne et la météo juste parfaite. Martin et Guillaume nous attendent pour embarquer à bord d’un semi-rigide, ce qui n’est pas courant pour une pêche à pied, allez-vous me dire, mais qui a pour intérêt d’atteindre plus facilement la langue de sable tant convoitée qui ne devrait plus tarder à se découvrir. En effet, ce spot d’exception est accessible uniquement 2 à 3 fois par an, et exclusivement par très fort coefficient. Il est donc impératif de prendre en compte les horaires de marée afin d’arriver au minimum une bonne heure avant l’étale basse, et tenter d’optimiser les 2 à 3 heures de pêche dont nous disposons au mieux. Quelques coups de lanceurs à mains du petit moteur thermique, et c’est parti pour l’aventure !

La technique “à la marque”

 Après un décollage de la plage réussi, nous nous approchons du poste où nous voyons apparaître, petit à petit, un paysage lunaire et incroyablement sauvage au milieu de nulle part. Parmi les multiples avantages qu’offre ce type d’embarcation, petite et légère, nous pouvons nous beacher aisément sur la plage, tout en prenant soin de déposer une ancre afin d’en garantir sa sécurité.

C’est l’un des moments que je préfère : le temps se règle au rythme de la mer, nous permettant de récupérer quelques instants après les heures intenses de préparation qu’impose souvent l’organisation d’une telle journée. D’ailleurs, profitons ensemble de ce petit moment de répit pour parler de nos passions… Je pratique exclusivement la pêche à pied dite “à la marque”, c’est-à-dire uniquement à vue, avec mes mains pour seul outil et une montre pour ne pas rentrer à la nage ! Après avoir atteint la surface du sable pour respirer ou encore s’alimenter, certains coquillages et crustacés trahissent parfois leur présence en laissant des marques distinctes très caractéristiques. Une fois habitué et l’œil aiguisé par quelques années de pratique, nous arrivons même à déterminer les différents mollusques bivalves en fonctions des traces, des trous ou autres monticules de sable. Par exemple, le manche à couteau, après avoir percé le sable avec son siphon, indique sa présence par une marque très connue en forme de trou en 8, comme une serrure. D’autres, comme la palourde, par deux petits trous côte à côte et qui, en se refermant à notre approche, forme, par une dépression, une toute petite cuvette. Ou encore la traditionnelle “pêche à la pisse” qui, en fonction de la grosseur du “jet d’eau” peut nous donner des informations sur la taille des coquillages. Certains gros bivalves, comme les vernis et les mactres, nous sentent arriver de très loin par les simples vibrations émises par nos pas dans le sable. Voulant s’enfouir et se cacher hâtivement, ils crachent une belle gerbe d’eau en se refermant. Il n’est d’ailleurs pas si fréquent de les voir “pisser”, tellement ils nous sentent arriver de loin, mais les grosses traces de gouttes d’eau sur le sable nous informent de la direction où chercher. Il suffit alors de regarder d’où vient le vent et, en remontant la traînée de gouttes d’eau, vous arrivez facilement au pied du coquillage.

Quelle richesse et quel bonheur cette pêche en pleine nature ! Je ne sais pas ce qui me plaît vraiment le plus : comprendre et reconnaître quel type de coquillage se cache sous telle ou telle marque, ou les nombreuses surprises qu’elle procure à chaque fois que l’on découvre une nouvelle espèce. Nous avons tellement attendu ce moment que je n’ai qu’une hâte, c’est de commencer !

Mais pour l’heure, l’eau est encore trop haute et le sable trop humide. Il sera plus facile de repérer les différentes traces sur un sable plus sec, laissant apparaître les fissures et craquements d’un éventuel mollusque ou autre ver de sable en déplacement..

Pêche finesse en amuse-gueule

En attendant que le niveau d’eau descende encore un peu, et ayant pris soin d’embarquer quelques cannes à bord, je propose à Guillaume et à Martin une petite session de pêche finesse, de bordure, histoire d’éduquer quelques jeunes labrax. À cette heure de marée, il n’est pas rare de pouvoir s’amuser sur de nombreux petits spécimens de bars francs et mouchetés venus grappiller l’abondante nourriture déplacée par ces très forts coefs. Il n’aura pas fallu attendre bien longtemps, puisqu’à peine le deuxième lancer réalisé par Guillaume, le voilà déjà pendu avec un premier petit bar commun qui, après avoir été immortalisé pour l’occasion, est remis à l’eau sans tarder. C’est ensuite au tour de Martin de prélever son premier poisson qui, malgré la vigueur du départ, décuplée par les forts courants du jour, est lui aussi de taille plutôt modeste. Nous prendrons beaucoup de plaisir durant une grosse demi-heure, mais il ne faut pas se laisser trop divertir car le temps de marée est très court et l’objectif est en vue !

De surprise en surprise

C’est désormais une plage déserte, sur plusieurs centaines de mètres de long, qui surgit devant nous. Nous avançons doucement, les yeux rivés sur le sable et, assez rapidement, une première trace nous indique la présence de ce qui semblerait être un coquillage. En fait, il s’agit plutôt d’une sorte de craquelure sur une dizaine de centimètres, un peu comme si le sol cherchait à s’ouvrir soudainement. Je m’approche discrètement, en prenant soin que mon ombre ne porte pas sur cette magnifique crevasse, évitant ainsi de dévoiler ma présence qui pourrait être ressentie par l’animal et lui permettrait de s’enfouir plus profondément dans le sable. Et hop ! Rapidement, je plante ma main, tout en palpant et creusant hâtivement jusqu’à ressentir ce que je pensais être un gros coquillage. Il y a bien quelque chose, mais c’est plutôt mou et assez long…  Je le retire délicatement du sol et là, surprise ! C’est un magnifique bibi XXL, toujours impressionnant et déroutant ! Quand je vous disais que nous pouvions trouver de tout ici ! Une année, nous sommes même tombés sur des coquilles Saint-Jacques dans dix centimètres d’eau. Il y en avait tellement qu’il suffisait de se baisser pour les ramasser. Dans le cadre d’une pêche de loisir, attention toutefois de bien respecter les mailles et les périodes d’autorisation de pêche des différents coquillages et crustacés. Sachant qu’elles peuvent être différentes d’une région à une autre, prenez soin de vous renseigner avant votre départ en mer. Nous continuons notre progression et, à nouveau, la chance nous sourit avec une marque pour le coup très caractéristique de la plupart des bivalves. Mais avec surtout cette fameuse “pisse” dont nous parlions tout à l’heure. Cette fois-ci, pas besoin de gratter trop profondément ; c’est seulement à une dizaine de centimètres que nous avons le plaisir de prélever un très beau vernis de taille plus que correct. En effet, des vernis de cette taille restent rares et c’est même exceptionnel de les trouver sur l’estran ! Les plus gros spécimens peuvent mesurer jusqu’à 11 cm et atteindre l’âge de 17 ans au moins, les tailles les plus courantes étant comprises entre 6 et 8 cm. La coquille est très épaisse, de forme ovale avec une teinte brun rougeâtre très brillante. Elle est généralement d’un blanc pur à l’intérieur. Comme pour l’immense majorité des bivalves, l’alimentation du vernis est de type microphage, c’est-à-dire une alimentation, en suspension, récupérée lors de sa filtration. Sa consommation porterait surtout sur des algues micros-copiques plutôt que sur du plancton. Le vernis (désigné ici sous le nom de palourde rouge) a l’avantage de se pêcher tout au long de l’année et à n’importe quel moment de la journée. La taille minimale autorisée pour sa capture par la législation européenne est de 6 cm. De consistance plutôt ferme, cette espèce est très prisée pour la consommation, le plus souvent gratinée ou farcie.

La journée semble prometteuse… Du simple endroit où je me tiens, je vois déjà plusieurs marques à quelques mètres de moi et cela jusqu’à perte de vue ! C’est sûr, nous n’aurons pas la possibilité de tout prospecter. Nous nous activons donc et trouvons une bonne dizaine de vernis en moins de 15 minutes ! Bien sûr, il est inutile de tout garder et même si tous font bien plus que la maille, nous ne gardons que les plus gros spécimens. Guillaume, qui a très vite compris la technique, m’appelle car il vient de trouver un coquillage différent. Il s’agit d’une jolie mactre, de belle taille elle aussi ! La mactre vit le plus souvent sur des fonds de sable moyen et la coquille est légèrement enfoncée dans la zone des basses mers. Très différente du vernis, sa coquille possède deux valves ovales, légèrement triangulaires et symétriques. Sa couleur est blanc-crème avec des rayures radiales brun clair et sa taille peut atteindre également les 11 cm. Comme tous les bivalves filtreurs, elle se nourrit en aspirant l’eau par le siphon inhalant, puis en la rejetant par le siphon exhalant. Au passage, la respiration s’effectue et les particules nutritives en suspension sont prélevées. Quand on sait que sa taille de capture autorisée est de 2,5 cm, nous réalisons qu’il s’agit là encore d’un très beau spécimen

La pêche continue avec la capture de nombreux autres vernis. C’est d’ailleurs la première fois que nous en trouvons en quantité aussi importante, parfois même des doublés, c’est hallucinant ! Et tiens, parmi eux, voilà notre première grosse mye. Comparativement aux autres, sa coquille assez plate de forme ovoïde est facilement reconnaissable. Elle est plutôt lisse et présente des stries correspondant aux étapes de croissance du coquillage. Elle est de couleur blanchâtre avec des teintes passant du jaunâtre au brun clair. Elle possède deux siphons soudés entre eux lui permettant de filtrer ainsi plusieurs dizaines de litres d’eau de mer par jour. Ce bivalve est un excellent appât pour la pêche et peut mesurer jusqu’à 15 cm de large. Ses chairs, très charnues, sont très résistantes à l’hameçon et pourraient intéresser de nombreuses espèces comme les poissons plats, les raies, les sparidés… et, bien sûr, le bar. On peut l’utiliser entier pour proposer une grosse bouchée ou en morceaux pour des pêches plus fines.!

Passion et respect, maître mots d’une pêche raisonnée

Nous sommes désormais sur l’étale de marée. Je profite toujours de ces grands marnages pour récolter un maximum d’appâts pour mes futures parties de pêche. Parmi eux, les incontournables vers marins ! Il en existe de toutes sortes et en très grand nombre sur ce spot. Nous trouvons ce jour-là un vers étrange, très long (environ 150 cm) et complètement plat, ressemblant à un parasite humain bien connu ! Blague à part, ne sachant pas s’il est intéressant pour la pêche, nous décidons de le remettre à nouveau dans son élément en prenant soin de le recouvrir de sable. Comme nous pouvons le constater, les différents oiseaux marins ne manquent pas non plus, au plaisir de venir s’en nourrir durant quelques heures, avant le retour désormais rapide de la mer.

Tout cela paraît finalement assez simple et il suffit de se pencher… Doux rêve ! Comme tout bon spot de pêche, sous-entendu tout spot de pêche découvert par soi-même, il faut des années pour synchroniser l’ensemble des paramètres environnementaux et sa propre existence. Ce qui n’est pas toujours simple… Être guide offre quelques avantages pour la dispo pêche ! Mes années de pratique nous simplifient bien la tâche, mais le temps passe vite sur cet ilôt éphémère, et il est déjà l’heure de retourner au bateau.

Alors que la mer reprend sa place, les pieds dans l’eau, nous profitons de ces derniers instants pour contempler cette nature si belle, généreuse et en même temps si fragile. Un petit travelling pour clôturer cette session de dingue où tous les acteurs attendus étaient présents, ce qui n’est pas pour déplaire à Christian, notre envoyé spécial !

Le prélèvement effectué est raisonné par rapport aux tailles et à la quantité des espèces rencontrées et nous pouvons ainsi, la conscience tranquille, partager notre pêche et savourer entre amis ce moment de vie unique. L’importance de se sentir en harmonie avec la nature est fondamentale et nous oblige à un comportement responsable fait de partage. C’est une des raisons pour laquelle je dévoile une partie de mes secrets en m’en remettant au bon sens de chacun ◆

Dany Patrier – Moniteur guide pêche BPJEPS UCmer –

Pêche à pied, en kayak, en bateau, au large.

06 60 38 90 38 – danpatrier@gmail.com