Mesure d’interdiction du plomb : l’avenir de la pêche récréative a du plomb dans l’eau

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Pour planter le décor de cet épineux dossier, il faut se rendre à Helsinki, au siège finlandais de l’ECHA (European Chemicals Agency), autrement dit l’Agence européenne des produits chimiques chargée par l’Union Européenne de mettre en œuvre la législation dans ce vaste domaine “afin de protéger la santé humaine, l’environnement” tout en favorisant “l’innovation et la compétitivité de l’industrie chimique”. C’est ici, qu’après avoir inscrit le plomb sur la “liste candidate de substances à interdire” en juin 2018, l’agence a lancé un an plus tard, à la demande de l’UE, une enquête ciblée sur l’utilisation de ce matériau dans les activités de tir en plein air 1 et dans la pêche, avec l’objectif clairement affiché de proposer une restriction de l’usage du plomb pour l’ensemble de ces pratiques. Si ce projet est passé quasi-inaperçu pour bon nombre des 18 millions de pêcheurs en France dont 4,5 millions de pratiquants réguliers, sa validation imminente dans les hautes sphères européennes devrait avoir un impact majeur sur toute la filière, depuis les fabricants de plomb aux distributeurs et revendeurs pour lesquels la recherche de produits de substitution est à ce jour un vrai casse-tête. Sans parler des pêcheurs qui subiront de plein fouet les conséquences techniques et financières, au risque de faire de cette pratique jusqu’alors populaire et intergénérationnelle, une activité “de luxe” beaucoup moins accessible…

RÉTROSPECTIVE FACTUELLE

Selon un calendrier d’enquêtes et de consultations qui se sont déroulées entre octobre 2019 et septembre 2021, l’ECHA a publié un rapport de 400 pages (!) argumentant le “projet d’avis” (de restriction) qui a été validé en mai 2022 par son Comité d’évaluation des risques (RAC), puis approuvé un mois plus tard par le Comité d’analyse socio-économique – SEAC (2), considérant que la restriction proposée est “appropriée pour faire face aux risques identifiés […]”. À l’issue d’une consultation réglementaire organisée au cours de l’été 2022, le SEAC devrait désormais adopter en décembre son avis définitif pour le proposer – conjointement à l’avis du RAC – à la Commission européenne début 2023. Celle-ci pourra alors préparer sa proposition législative visant à modifier la liste des substances faisant l’objet de restrictions inscrite au règlement REACH (3), laquelle sera soumise au vote des États membres de l’UE et examinée par le Parlement européen et le Conseil avant l’adoption définitive de la restriction…

En d’autres termes, dans le courant de l’année 2023, le plomb devrait être légalement interdit (avec des décrets d’application) dans l’usage des pratiques visées par cette restriction. Au chapitre de la pêche, cette mesure prévoit donc l’interdiction de la vente et de l’utilisation de plombs et de leurres en plomb, nuancée par des périodes de transition en fonction du poids : 3 ans pour les plombs inférieurs ou égaux à 50 grammes (soit jusqu’en 2026) et 5 ans pour les plombs de poids supérieur. Notons que cette interdiction sera immédiate pour l’utilisation de plombs dans des techniques de pêche spécifiques dites de largage (4).

L’ECHA estime que cette proposition dans son ensemble, englobant donc le tir, la chasse et la pêche “pourrait réduire les émissions de plomb de 72 % (soit environ 630 000 tonnes) en 20 ans par rapport à une situation sans restriction”, et que, par ailleurs, “cela permettrait d’éviter l’empoisonnement de la faune sauvage, y compris de nombreuses espèces menacées (…)” (voir plus loin). Des arguments bien loin de convaincre tous ceux pour qui le plomb a livré (presque) tous ses secrets et qui n’a surtout pas d’égal en termes de caractéristiques !

Une décision jugée impérative et justifiée pour les uns… infondée et dogmatique pour les autres… Dans les méandres des enjeux de pouvoir, où s’entrechoquent des causes et des intérêts très divers et souvent peu compatibles, essayons d’y voir plus clair sur les motivations défendues, et surtout d’évaluer l’impact réel que cette mesure aura irrémédiablement dans les années à venir, sur la filière de la pêche récréative dans son ensemble ◆

2 SEAC : Committee of Socio-Economic Analisys.

3 REACH : Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals est un règlement européen entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne.

4 Plomb destiné à être abandonné dans l’eau avec un cassant.

UN MATÉRIEL ADAPTÉ

Dans le viseur de l’Union Européenne, la chasse et la pêche sont aujourd’hui abordées de manière conjointe, à travers le rapport de l’ECHA qui s’attache à démontrer l’impact toxique de ces pratiques sur leur environnement, sur la faune sauvage et sur la santé humaine.

Une approche unilatérale qui peut donner le sentiment du “deux poids, une mesure” que Laurent Lécole, directeur général de la Fonderie Lemer, résume en trois chiffres : “À l’échelle de l’Europe, 100 000 tonnes de plomb sont rejetées dans la nature chaque année : 93 000 tonnes par la chasse et 7 000 tonnes soit 7 % par la pêche ! À la chasse, une faible proportion des balles tirées atteint la cible et les grenailles de plomb perdues se répandent dans la nature. La perte d’un plomb de pêche dans l’eau est en revanche involontaire et malencontreuse, sauf dans certaines techniques de pêche dites “de largage de plomb” qui restent très marginales”.

LA POLLUTION ENVIRONNEMENTALE DU PLOMB SERAIT-ELLE AUSSI INERTE QUE LE MÉTAL LUI-MÊME ?

Le plomb de pêche a-t-il un impact réel sur son environnement aquatique, comme l’entendent les défenseurs de la cause arguant que “si on n’utilise plus de plomb pour la pêche, il y a moins de risque de contamination de l’eau par le plomb !”

“Et moi avant de mourir j’étais encore vivant”, ironise Laurent Lécole qui se hérisse de “ce raisonnement par l’absurde au nom du principe de précaution et désormais du prisme de la culpabilisation”. Un sentiment amplement partagé par Christophe Darcet, fondateur et directeur de Bricoleurre (à l’origine du concept des leurres faits maison) : “Sur un plan scientifique, on juge le potentiel de pollution d’un produit à sa capacité à se dégrader dans un milieu et à interagir avec celui-ci en créant un danger” s’attachant à rappeler “qu’à l’état métallique, le plomb est inerte et ne pose pas de problème particulier, notamment dans l’eau” (voir encadré ci-contre).

Un constat d’ailleurs partiellement reconnu par l’ECHA elle-même qui, dans son rapport, stipule que “l’évaluation réalisée n’identifie aucun risque pour la santé humaine ou l’environnement associé à l’utilisation du plomb dans les filets, les cordages et les lignes pour la pêche où le plomb est incorporé ou contenu. Par conséquent, aucune restriction n’est proposée pour cette utilisation spécifique”. Ainsi, la pêche professionnelle se voit définitivement à l’abri de cette mesure d’interdiction, “sans doute protégée aussi par la force financière d’organisation et de pression du secteur. Lorsqu’Emmanuel Macron a fait campagne, il est monté sur un chalut, il n’est pas allé voir des pêcheurs de loisir…” fait remarquer Laurent Lécole.

QUELS DANGERS DIRECTS POUR LA SANTÉ DES PRATIQUANTS ?

Il est officiellement admis que les risques d’intoxication au plomb se font par deux voies : l’inhalation et l’ingestion. Ainsi, l’ECHA considère que “les chasseurs peuvent respirer des fumées de plomb lorsqu’ils tirent […], ingérer des poussières de plomb s’ils mettent la main à la bouche après avoir manipulé un projectile”. Quant aux pêcheurs, le risque majeur évalué provient de l’inhalation de vapeurs toxiques s’ils font fondre du plomb à plus de 600°C pour préparer leur matériel de pêche. Une pratique effectivement courante chez les pêcheurs de loisir “mais dont les dangers sont inexistants si elle est réalisée avec des protections individuelles (masques adaptés), et des pots de fusion électriques thermostatés (320°C) pour couler ses plombs. Il ne faut jamais le faire à la flamme (gaz ou chalumeau) parce que là effectivement, on atteint les 600°C”, précise Christophe Darcet de Bricoleurre.

Concernant l’exposition au plomb par ingestion, l’ECHA évoque également la consommation de viande de gibier : “Des recherches récentes suggèrent que le gibier chassé avec des munitions au plomb peut contenir des fragments microscopiques de plomb, qui ne peuvent être éliminés lors de la préparation de la viande”…

En revanche, concernant la pêche, les deux seules lignes existantes sur le sujet sonnent comme un aveu : “Rien ne prouve que la consommation de poissons pêchés avec des articles en plomb entraîne une exposition au plomb” !

AUX PRINCIPAUX MOTIFS, UN RISQUE D’INTOXICATION DE LA FAUNE

Finalement, on retiendra du rapport de l’ECHA le volet de l’impact du plomb sur la faune sauvage et tout particulièrement sur les espèces d’oiseaux aquatiques comme les canards, les oies et les cygnes qui “confondent la grenaille de plomb avec de la nourriture ou avec du gravier qu’ils mangent pour les aider à broyer les aliments dans leur gésier (…). Après ingestion, les plombs de chasse, les plombs de pêche ou les leurres en plomb sont rapidement broyés en petites particules, ce qui accélère l’absorption du plomb dans le sang des oiseaux (…). En outre, les animaux charognards ou prédateurs (y compris les oiseaux) mangent par inadvertance des fragments de plomb qui se trouvent dans les tissus de leur nourriture (…)  » stipule le rapport de l’ECHA. L’agence européenne avance ainsi “qu’au moins 135 millions d’oiseaux sont actuellement exposés au risque de saturnisme chaque année par l’ingestion de plombs, 14 millions menacés par la consommation d’animaux abattus avec des munitions en plomb et 7 millions par l’ingestion d’articles de pêche en plomb”. Des faits que le dirigeant de Bricoleurre, Christophe Darcet, rejette fermement, en dénonçant “ces amalgames fallacieux et sans fondement scientifique” et qu’il tient par ailleurs à recontextualiser : “Toutes les analyses qui ont été faites à ce jour attestent que la mortalité des canards due au saturnisme est de l’ordre de 0,1 %… très loin derrière les éoliennes, véritables hachoirs à migrateurs si l’on en croit des relevés concrets (eux !) qui dénombrent en moyenne 80 oiseaux / éolienne / an soit  70 000 oiseaux tués par an” !

VRAI ? FAUX ? En savoir plus sur le plomb et les idées reçues *

Le plomb est un métal dont l’utilisation est ancestrale ?

VRAI. Le plomb fait partie des plus anciens “métaux pauvres” découverts et travaillés par l’Homme. Certains évoquent même son utilisation depuis la Préhistoire, sans doute facilitée par son extraction aisée.

Le plomb est un métal aux propriétés multiples incomparables avec d’autres métaux ?

VRAI. Le plomb est aujourd’hui le seul métal qui présente le meilleur ratio en termes de densité (11.35), de température de fusion (327°C), de malléabilité (1) et de prix d’achat (environ 2 500 € la tonne en 2021).

Le plomb est recyclable à l’infini ?

VRAI. Le plomb est une ressource non renouvelable, mais recyclable à l’infini. La consommation mondiale de plomb s’élève à 12 millions de tonnes par an dont 5 millions proviennent de la production et 7 millions du recyclage (soit 60 %).

Les filières de recyclage organisées de longue date (notamment pour les batteries automobiles qui représentent 85 % du marché du plomb) permettent de préserver la ressource naturelle, de réduire de moitié l’énergie mise en œuvre lors du recyclage “local” comparativement à l’extraction minière.

Une exposition au plomb a de graves effets sur la santé ?

VRAI. Ingéré ou inhalé, le plomb se retrouve dans le sang et se fixe sur les tissus mous (foie, rate, reins, moelle osseuse, système nerveux), ainsi que sur le système osseux et dentaire où il peut être stocké par accumulation, provoquant des troubles et maladies graves rassemblés sous l’appellation de saturnisme (Saturne étant la planète à laquelle les alchimistes associaient le plomb). Il est éliminé lentement par les voies naturelles, mais peut rester dans l’organisme plusieurs dizaines d’années.

Classé reprotoxique, le plomb peut également être responsable d’altération de la production des spermatozoïdes et d’anomalies lors d’une grossesse. Une mère ayant une forte quantité de plomb dans son organisme va en transmettre à son enfant durant la grossesse puis par le biais de l’allaitement. Les enfants sont particulièrement sensibles à l’intoxication par le plomb, qui peut se traduire par des effets sur le système nerveux central, d’autant plus importants que le sujet est jeune.

En revanche, le potentiel cancérogène du plomb demeure à ce jour non démontré par les rares et insuffisantes études scientifiques, et reste une source de débat.

Sa toxicité a été découverte récemment ?

FAUX. La toxicité du plomb est connue depuis l’Antiquité. Le saturnisme a été l’une des six premières maladies à être reconnue comme maladie professionnelle depuis 1919. Les cas de saturnisme s’observent essentiellement chez les personnes di­rec­tement exposées, sans précautions élémentaires, comme les plombiers et les couvreurs-zingueurs… L’industrie du plomb est désormais soumise à des règles strictes de prévention, de protection et de surveillance.

Le moindre contact avec un plomb métallique est dangereux pour la santé ?

FAUX. À l’état métal, le plomb est très peu bio-soluble et ne constitue pas un réel danger à son contact s’il n’est ni récurrent, ni permanent (le plomb ne passe pas à travers la peau). Le plomb devient particulièrement toxique lorsqu’il est bio-accessible, c’est-à-dire inhalé et/ou ingéré, soit sous forme de particules, de vapeurs dès 600°C (température inférieure à celle du chalumeau ou de l’arc électrique), ou d’oxydes de plomb (la céruse, la galène et le minium). Ces derniers ont été longtemps présents dans certains produits aujourd’hui interdits comme l’essence ou la peinture (à l’oxyde de plomb et non au plomb !) beaucoup utilisée pour l’étanchéité des pièces humides. Ce sont en particulier les écailles de ces peintures dégradées qui ont été considérées comme très toxiques, notamment pour les enfants attirés par leur goût sucré.

La bioaccessibilité absolue du plomb augmente fortement en milieu acide, notamment lorsqu’il est ingéré et passe en phase gastrique.

Le plomb rouille au contact de l’eau ?

FAUX. En milieu neutre ou alcalin, le plomb possède une bonne résistance à la corrosion. C’est la raison pour laquelle, notamment, il était utilisé pour les charpentes et l’étanchéité des toitures ou bien encore les canalisations d’eau potable qui pendant plus de 2 000 ans ont été en plomb. La couche de calcaire déposée en surface interne formait en outre une barrière protectrice. Les risques de contamination des eaux stagnantes étaient plus liés à des facteurs bactériologiques qu’à la toxicité du plomb.

* Sources partiellement fournies par Laurent Lécole, Directeur Général des Fonderies Lemer et Dejoie.

QUELLES ALTERNATIVES POUR QUELLES CONSÉQUENCES ?

À l’évidence, le projet de restriction de l’usage du plomb, qui devrait être voté en 2023 et progressivement appliqué jusqu’en 2026, aura de multiples répercussions sur toute la filière de la pêche récréative : tant pour les fabricants à la fois amputés d’un marché jusqu’alors bien rôdé et aujourd’hui contraints de revoir tous leurs process, que pour les distributeurs et revendeurs en quête de solutions alternatives jusqu’à présent peu concluantes et, in fine, pour les pratiquants eux-mêmes qui subiront de plein fouet l’inéluctable flambée des prix des lests de substitution !

En première ligne, Laurent Lécole évoque sans détour les conséquences socio-économiques que l’interdiction du plomb pour la pêche fera peser sur la Fonderie Lemer : “Une perte de 20 et 30 % de notre chiffre d’affaires, et de 20 à 25 emplois soit près de la moitié de notre effectif” !

Un impact qu’analyse aussi clairement de son côté le créateur de Bricoleurre Christophe Darcet : “Nous commercialisons tous les produits, matériels et matériaux qui permettent de faire les leurres soi-même. Aujourd’hui, le plomb en fait partie puisque le gros de notre marché ce sont les leurres souples qui ne fonctionnent qu’avec une tête plombée”.

FACE AU PLOMB, DES ALLIAGES PLUS QUE DES ALLIANCES !

Température de fusion / malléabilité-souplesse / densité / prix : c’est parce que le plomb conjugue à lui seul ces multiples atouts qu’il est en quelque sorte “unique”. Certes, on peut le remplacer par d’autres métaux, mais toujours au détriment d’un de ces éléments, reconnaissent unanimement les spécialistes.

Au répertoire des métaux (non exhaustif / voir tableau), on a :

> le bismuth : moins dense que le plomb, mais cassant /friable et 4 fois plus cher !

> l’étain : moins dense, plus dur (on en met dans le plomb pour le durcir) et 10 fois plus cher !

> le zamak : moins dense, un alliage très dur à base de zinc essentiellement (auquel sont liés de l’aluminium, du magnésium et du cuivre), à un prix acceptable (bien que 2 fois plus cher) ;

> le tungstène, très dense, utilisé pour certaines balles, très dur, mais qui fond à 3 400°C, et à un prix dissuasif !

> bien plus denses, il y a également l’uranium, le platine, l’or, mais là, pas besoin de développer plus d’arguments financiers…

 Interview de Pierre François, Ingénieur produit chez Caperlan

“TROUVER DES SOLUTIONS DE SUBSTITUTION AU PLOMB EST UN VÉRITABLE CHALLENGE”

Pierre François

À 27 ans, Pierre François occupe chez Caperlan une double fonction stratégique depuis qu’il a rejoint la filiale de Décathlon en 2018 : ingénieur produit sur le secteur pêche en mer, il est également responsable du développement durable pour les sports pêche. Plus que jamais, les sujets environnementaux sont au cœur des réflexions et des préoccupations qui guident chacun des processus, depuis la recherche et la conception produit jusqu’à la commercialisation, en passant par la production et l’industrialisation. Des enjeux que le projet d’interdiction de l’usage du plomb complexifie considérablement…

Côt&Pêche : Comment est abordé l’enjeu environnemental chez Caperlan ?

Pierre François : Nous avons trois axes essentiels et complémentaires : la réduction carbone qui est l’enjeu principal aujourd’hui sur le réchauffement climatique ; la durée de vie de nos produits avec des produits plus durables, plus réparables, plus résistants pour agir sur la réduction des déchets ; la préservation du milieu aquatique dans lequel s’exerce notre activité, de sa biodiversité et de l’interaction potentielle de nos produits avec l’ensemble de son écosystème.

C&P : Quelle est la position de Caperlan par rapport à la dangerosité du plomb dans la pratique de la pêche pointée par l’Union Européenne ?

PF : Chez Caperlan, nous n’avons pas une position tranchée d’autant que les études qui existent sur le sujet peuvent se contredire ! Ce qui a été identifié par la commission européenne, c’est la toxicité indiscutable du plomb sur l’Homme dans des conditions particulières, lorsqu’il est inhalé ou ingéré. Quant à prouver son impact nocif sur la faune et la flore aquatiques, associé à la pratique de la pêche… nous n’avons rien trouvé qui permette de le mettre en évidence ! En tout cas, pas plus que l’impact que pourront avoir potentiellement d’autres métaux de substitution ! À vrai dire, l’écotoxicité du plomb (comme des autres métaux) sur le milieu aquatique est très mal maîtrisée par la communauté scientifique ! Donc affirmer aujourd’hui que cette mesure d’interdiction induira des solutions qui n’auront pas d’impact sur le milieu est totalement impossible ! En revanche, d’autres problématiques environnementales sont à prendre en compte, comme l’impact climatique des émissions de CO2. Or, tous les métaux de substitution ont un impact bien plus élevé que le plomb notamment en raison de leur température de fusion plus élevée pour les mettre en œuvre !

C&P : Des solutions de substitution… c’est désormais la réponse que se doit d’apporter Caperlan ?

PF : Effectivement, notre objectif est d’anticiper sur les nouvelles réglementations qui peuvent impacter notre sport et ses pratiques. Si demain le plomb est interdit, il faut absolument que l’on puisse pérenniser la pêche et continuer de la rendre accessible à tous en trouvant des solutions en termes de prix et d’usages, tout en respectant notre ligne de conduite environnementale… Chez Caperlan, nous avons un collectif qui travaille, de manière très poussée, sur ces paramètres pour trouver des solutions industrialisables. Mais il faut admettre que cette équation très complexe à résoudre est un vrai challenge  !

C&P : L’offre ”de substitution” est-elle déjà disponible sur le marché  ?

PF : Nous avons déjà quelques solutions en magasin avec notamment le composant zamak, et nous travaillons actuellement sur de nouveaux développements sans plomb qui arriveront dès 2024 sur certains produits, ainsi que sur des têtes “plombées” en acier inoxydable qui sortiront dès 2023. Mais, tant que cette mesure d’interdiction n’est pas officiellement prononcée, nous continuons à vendre du plomb parce que, pour le moment, comme je disais, nous ne sommes pas encore en mesure de dupliquer tous les usages d’un point de vue industriel. Par exemple, nous n’avons pas de solution idéale dans l’immédiat pour remplacer la fonction du plomb pour les leurres à fort grammage.

LE PLOMB… SANS COMPARAISON !

Les experts ont beau retourner la question dans tous les sens, la réponse reste identique : pour remplacer le plomb, il faut faire des alliages… et ainsi jouer les “apprentis sorciers” pour trouver la meilleure formule… ou plutôt la formule la plus acceptable !

“Après avoir fait des essais avec le bismuth – trop friable et beaucoup trop cher –, puis le zamak – très difficile à travailler –, nous testons des alliages à base d’étain et de zinc essentiellement, qui sont beaucoup plus malléables, confie Christophe Darcet. Mais nous avons un problème de volume, c’est-à-dire qu’à poids égal, on obtient un leurre qui fait 1,7 fois la taille ! On a aussi imaginé faire des choses en ciment, mais, en termes de densité, si l’on est à 11,3 pour le plomb, le ciment lui est à 4 ! Dans tous les cas, on essaye aujourd’hui de trouver une côte mal taillée mais qui ne résout pas la problématique du coût multiplié par 8 au minimum…”

EXISTE-T-IL UNE SOLUTION DE SUBSTITUTION IDÉALE ?

Un casse-tête sur lequel, depuis plusieurs années, la marque Caperlan se mobilise sans relâche au point de dédier une commission de réflexion, de recherche et de développement (voir interview). “Nous avons étudié toutes les solutions de substitution potentielles et, dans un premier temps, sans se limiter à une faisabilité industrielle. On a vraiment listé tout ce qui pouvait fonctionner mais force est d’admettre que nous n’avons pas trouvé LA solution idéale, confie Pierre François, ingénieur produit pour le secteur pêche en mer de la marque. Par exemple, aujourd’hui la fonderie Lemer nous propose du zamak, un alliage à base de zinc qui est à minima deux fois plus cher et avec une densité de 7 contre 11 pour le plomb. On a un ratio qui fait à peu près 1,7 fois la taille d’un plomb pour le même poids, ce qui fait que le leurre va descendre beaucoup moins vite et dans un contexte de courants marins, il ne touchera jamais le fond !”

À défaut de pouvoir proposer à ce jour une solution de substitution idéale, Caperlan a choisi d’élargir le prisme et d’aborder la problématique en “découpant les usages” pour apporter la meilleure solution à chacun d’eux : “Nous avons identifié 3 grandes fonctions auxquelles le plomb répond communément : la fonction “lancer loin”, la fonction “leurre” et la fonction “équilibrage”. On cherche des solutions adaptées à chacune de ces fonctions, ce qui nous permet, dans un premier temps, de mettre des lests sans plomb sur le marché à prix et densité variables selon les alliages utilisés”.

D’UNE PRATIQUE POPULAIRE À UNE PRATIQUE BUDGÉTAIRE !

Mais, incontestablement, l’enjeu majeur est de pouvoir trouver des solutions innovantes et technologiques qui puissent répondre à la problématique de densité proportionnée à celle du prix. Car les coûts des métaux disponibles sur le marché sont sans commune mesure avec le coût du plomb actuellement d’environ 2 500 € la tonne. Le tungstène, seul métal plus dense que le plomb s’affiche à plus de 60 000 €/tonne ! Au rang intermédiaire, le zamak oscille entre 4 et 5 000 €/tonne, tandis que l’étain flirte avec les 25 000 €/tonne… L’étain justement (!) est, par sa nature souple et malléable, le seul métal capable de remplacer le petit plomb fendu que l’on met sur un fil au-dessous du bouchon… “Eh bien, cette petite boîte de plombs fendus que je fabrique et que l’on trouve aujourd’hui entre 3 et 4€ TTC chez Caperlan, à masse égale vaudra entre 20 et 25 € lorsqu’elle sera en étain ! s’alarme Laurent Lécole. Donc, ça va forcément impacter le coût de la pratique, donc le nombre de pratiquants, donc l’économie du secteur”.

UNE ISSUE PAS FORCÉMENT PLUS VERTUEUSE…

Si cette nouvelle réglementation va irrémédiablement impacter le portefeuille des pêcheurs, va-t-elle au moins résoudre la problématique environnementale et sanitaire comme le laisse entendre le rapport européen ? Là encore, le doute persiste ouvrant la brèche au scepticisme. Car si, jusqu’à preuve du contraire, la démonstration n’a pas été faite de l’impact du plomb sur son milieu aquatique, les autres métaux de substitution n’ont pas plus révélé leurs vertus en la matière, surtout lorsque certains d’entre eux sont, par nature, moins résistants, moins étanches, beaucoup plus oxydables, et exploitables à des températures de fusion beaucoup plus élevées ! Tous les processus d’industrialisation aujourd’hui parfaitement maîtrisés pour le plomb devront être totalement repensés et complexifiés pour traiter d’autres métaux, avec un bilan carbone à l’évidence beaucoup plus lourd, comme l’explique Pierre François dans son interview (voir plus loin) et comme le confirme Laurent Lécole : “Le zamak, sur lequel nous travaillons aujourd’hui, est un métal plus cher, plus laborieux à travailler, mais surtout déplorable sur un plan environnemental car son exploitation provient de la mine et son recyclage est plus délicat, alors que le plomb chez nous provient quasi-exclusivement du recyclage des batteries de voiture. La comparaison du bilan carbone parle d’elle-même : 1 kg de plomb à partir de plomb recyclé = 1 kg de CO2 / 1 kg de plomb issu de la mine = 5 kg de CO2 et 1 kg de zamak = environ 3 kg de CO2 !” ◆

ET DEMAIN ?

À l’aube de cette année 2023, le projet de restriction – autrement dit d’interdiction – de l’usage du plomb dans la pêche de loisir est-il inéluctable ? Certains le pensent, d’autres le redoutent et beaucoup le découvrent… cette mesure, avouons-le, n’ayant pas fait grand bruit dans les couloirs médiatiques. Entre immobilisme et résignation, quelques “irréductibles” font pourtant entendre leurs voix et surtout leurs arguments qui laissent à réfléchir… “Prétendre résoudre un problème en s’attaquant à un critère représentant moins de 1 % de la cause, c’est totalement absurde, s’insurge Christophe Darcet. D’autant que les fabricants de batteries, de matériel médical, les couvreurs, les pêcheurs professionnels… représentant 99 % des utilisations du plomb, ont réussi à obtenir des dérogations ! Alors pourquoi pas nous ?”

Une croisade que le directeur de Bricoleurre se sent la vaillance d’entreprendre ! Bien que réaliste et parfaitement lucide sur les multiples enjeux croisés de cette mesure, Laurent Lécole ne faiblit pas non plus à sa nature profonde : “Pensons en homme d’action et agissons en homme de pensée, comme j’aime dire ! Il est peut-être encore temps de reprendre les choses en main, avec du libre arbitre, du travail, de l’ouverture d’esprit, de l’écoute réciproque, mais aussi avec de la cohérence et de la cohésion !”

La cohérence et la cohésion, c’est pourtant bien ce que regrette Christophe Darcet en pointant du doigt le manque de structuration de la filière : “Entre la pêche sportive, la pêche en mer, la pêche en eau douce, … le milieu de la pêche de loisir dans son ensemble est complètement diffus et atomisé. Il ne parle pas d’une seule voix et peut, par conséquent, difficilement se faire entendre ! Il est évident que dans ce contexte, son avenir est réellement menacé”..

DES PISTES D’ACTIONS…

Qu’on se le dise, Christophe Darcet n’a pas l’intention d’attendre que l’épée de Damoclès tranche le sort de la pêche récréative et l’avenir de son entreprise avec ! Ainsi, le patron de Bricoleurre propose des pistes d’actions : “L’idéal serait que le milieu de la pêche fasse corps et se lève d’une même voix. Si chacun se mobilise à son niveau, on pourrait réussir à mettre en œuvre une contre-offensive qui s’articulerait en deux axes :

> le volet public : l’idée d’une pétition qui démontre la mobilisation de tous les acteurs concernés et des soutiens périphériques ;

> le volet documentaire : pour contester tous les arguments non fondés ou arbitraires du rapport de l’ECHA, il faudrait évaluer la faisabilité et le coût d’une étude apportant des éléments contradictoires et qui démontreraient aussi, sans grande difficulté, les conséquences désastreuses du remplacement du plomb, surtout dans le milieu de la pêche où, rappelons-le, le plomb n’a que très peu d’impact puisqu’il est inerte, inoxydable et qu’il n’est pas en fusion. Cela aurait le mérite d’exister pour, au pire reculer l’échéance et, au mieux, annuler le projet de loi sur la base d’éléments avérés. Car il y a beaucoup de choses à faire avant de mettre dans la nature des produits dits de substitution plus polluants bien qu’officiellement autorisés !”

Reste à savoir comment financer cette démarche… “Faire une levée de fonds individuelle serait compliqué et malheureusement trop long compte tenu de l’urgence des échéances. En revanche, tous les acteurs de la pêche – dont les fédérations forcément impactées par le risque de baisse des pratiquants – seraient bien inspirés de mettre la main à la poche” lance sans détour Christophe Darcet.

Pour initier cet élan contre-offensif, l’idée serait de créer un collectif auquel pourraient adhérer toutes les parties prenantes dans ce milieu de la pêche : les fabricants, les marques, les distributeurs, les revendeurs, les associations, les fédérations sans oublier les médias… Côt&Pêche en première ligne, la preuve ! ◆

Le mot de la Fédération Nationale de la Plaisance et des Pêches en mer

À l’évidence, la FNPP ne peut que réagir par une vive protestation, puisque ce projet d’interdiction du plomb est une mesure de plus qui va frapper quasi-exclusivement la pêche récréative. Notre fédération entend utiliser les moyens qu’elle jugera nécessaires, mais envisage de prendre attache auprès des autres organisations représentatives des différentes pratiques de pêche qui, elles aussi, seront impactées. Les conditions sont créées pour qu’il y ait unité de point de vue et que soient envisagées des modalités d’actions communes, par exemple au sein d’une confédération.

Il est absolument établi que le recours à du plomb, en tant que lest dans la pêche en mer, est totalement inoffensif pour son milieu. Si ce bras de fer est perdu par l’ensemble des pêcheurs récréatifs, ce sera grand dommage d’abord pour des raisons économiques, mais aussi parce que les procédés de remplacement sont plus nocifs pour l’environnement que le plomb !”

Dominique VIARD, Président de la Commission Environnement.