Les estuaires, les entrées de petites mers intérieures, les abers ou les rias sont autant de termes pour désigner ces baies étroites et allongées que l’on retrouve sur la façade atlantique. Ces milieux extrêmement riches en nourriture sont de vrais paradis pour les poissons et en particulier pour les daurades royales. Et c’est dans ce genre de biotope si particulier que le tenya s’est imposé, au fil des ans, comme la meilleure technique pour séduire la belle aux sourcils d’or.
Après avoir passé l’hiver au large pour se reproduire, c’est à partir du mois d’avril que les daurades royales retournent dans leurs eaux nourricières. Elles y séjournent jusqu’à fin octobre, avant de repartir à nouveau sur leurs zones de fraies. Lors de leurs arrivées et de leurs départs, on les trouve généralement en grands bancs compacts. Et c’est à cette période que l’on peut avoir la chance de réaliser des pêches exceptionnelles, avec des prises toutes les 5 minutes, dès lors que l’on a réussi à les localiser. En période estivale, ces grands bancs s’éclatent en petits groupes sur l’ensemble de l’estuaire et il est alors plus aisé d’en trouver, même si les bancs comportent moins d’individus.
C’est parti pour une session de folie
Nous sommes début octobre, les bancs de royales se sont rassemblés en énormes mattes et leur migration devrait se déclencher aux prochaines grandes marées. Leur localisation a été faite il y a deux jours, les daurades se sont installées à l’entrée du Golfe du Morbihan, dans le fameux courant de la jument, sur un plateau recouvert de moules. Les poissons y sont nombreux, avec des individus de différentes tailles que l’on peut apercevoir aisément au sondeur. Comme à leur habitude à cette époque, les gueules pavées se sont installées derrière une pointe, à la jonction entre le courant principal et le contre-courant créé par l’avancée rocheuse. Cette jonction engendre des turbulences importantes en formant des espèces de marmites et c’est dans ces sortes de dômes que les daurades se trouvent. La pêche va pouvoir commencer…
Le matériel
Le matériel a été choisi avec précision et sans superflu. Les tenyas sont tous des Deep de chez Explorer Tackle, pour avoir une forme adéquate à ces zones de remous et pour pouvoir avoir des hameçons capables de résister aux mâchoires puissantes des daurades royales. Et niveau couleur, je suis parti sur du jaune marbré (la couleur moule), ce coloris ayant souvent fait la différence.
Le but étant de sortir comme toujours une daurade royale record, le fluorocarbone n’est pas non plus à prendre à la légère. Il faut du costaud, une forte résistance à l’abrasion et qu’il soit complètement invisible dans l’eau. J’installe donc 3 mètres de fluorocarbone Topknot de chez Yo-Zuri en 33/100e pour pallier toutes les situations.
Dans ce type de pêche au tenya un peu extrême au milieu des courants puissants et des fonds chaotiques, une canne extrêmement tactile avec une bonne réserve de puissance doit être de rigueur. Une canne typée bar “full carbone” de puissance 10-35 grammes sera plus adaptée qu’une canne spécifique tenya avec un scion “mou” en fibre de verre. Elle devra être montée avec un moulinet de taille 3000 garni d’une tresse de 1 ou 1.2 PE en 8 brins pour offrir moins de résistance au courant et pour mieux glisser dans les anneaux. La Yo-Zuri Superbraid 8X que j’utilise pour toutes mes pêches est ce qui se fait de mieux en matière de tresse.
Les nouveaux tenyas Kamou de chez Explorer Tackle (nouveauté 2021)
Au début, même s’il a été difficile de me détourner de la forme du deep pour réaliser les tests, je dois bien avouer que je ne pourrais plus les enlever de ma boîte tant ils se sont montrés complémentaires, voire supérieurs dans certaines situations.
C’est surtout par eau claire et sur les zones à faible courant que ces nouveaux tenyas imitant parfaitement des coquillages ont montré tout leur potentiel. Sur les dérives inférieures à 0.5 nœuds, les sparidés ont en effet beaucoup plus de temps pour analyser le montage, et le fait d’avoir un tenya qui se fond parfaitement dans le biotop éveillera beaucoup moins la méfiance des poissons, y compris des daurades les plus difficiles.
Outre le fait de reproduire l’aspect des friandises préférées des sparidés, chaque forme de ces tenyas coquillages a également montré des avantages :
> le profil aérodynamique de “la moule” permet de descendre au fond plus rapidement qu’un tenya classique et de pêcher plus léger;
> la forme très planante et ultra stable de “la patelle” sera la plus adaptée pour y fixer de gros appâts tels que des crabes;
> “le bulot” et “la coque” reproduiront, quant à eux, la nage des tenyas traditionnels, le mimétisme en plus.
Toujours dans cette même collection des tenyas Kamou d’Explorer, le modèle CT-Lem a également réussi à se démarquer. Reprenant la forme du deep, il est recouvert d’un revêtement synthétique imitant les algues filamenteuses que l’on retrouve généralement sur les roches. Mais en plus de sa discrétion, l’avantage de cette matière est de pouvoir retenir les attractants. En eau trouble avec peu de dérive, il guidera les poissons sur votre appât, et ce, même sur de très longues distances.
Cette nouvelle gamme de tenyas aux avantages novateurs m’a permis à de nombreuses reprises de sortir mon épingle du jeu, et de ne faire du poisson qu’avec ce type de leurre appât. Conclusion : à tester d’urgence pour les aficionados de la technique !
L’électronique, un allié précieux
Pour les sparidés, aucun oiseau ne pourra vous donner l’indice de leurs présences, seul le sondeur vous aidera. Lors de la partie prospection, je passe souvent une heure ou deux à sonder mes postes sans pêcher, pour trouver les boules de royales. Ce temps de pêche, que l’on pourrait croire perdu, est surtout un investissement pour le reste de votre session ou de vos futures sorties. Et c’est, je pense, la seule manière de pouvoir être régulier toute une saison. Les daurades fréquentant généralement les mêmes postes, n’oubliez pas de placer un point GPS à chaque prise afin de localiser leur parcours.
Mais où sont les dodos ?
Même si les royales ne sont pas réputées pour être des poissons ultra mobiles, il faut tout de même les localiser… En général, elles passent toutes une marée sur zone et se déplacent sur un nouveau secteur lorsque le courant commence à diminuer, mais vous avez 8 chances sur 10 de les retrouver le lendemain à la même heure et au même endroit.
C’est lors des gros coefficients de marée qu’il sera le plus facile de les trouver. Les royales préférant les courants modérés, elles se mettront en bordure de jus ou dans les baies à faibles courants, ce qui limitera votre zone de prospection. Par petit coefficient de marée, la pêche peut se révéler plus difficile, car elles peuvent se poster partout et en particulier dans le courant principal qui restera hélas trop puissant pour pouvoir pêcher au tenya.
Pour gagner du temps sur la prospection, je vous conseille de sonder uniquement les zones pêchables sur lesquelles vous avez le plus de chances de les trouver, c’est à dire :
- les zones ayant entre 0.6 et 1.8 nœuds de derive;
- les fonds entre 7 et 17 mètres de profondeur;
- les marmites en limite de courant;
- les accélérations de courant dans les baies plus au calme;
- les petits plateaux rocheux qui sont recouverts de moules;
- les lits de rivière dans les fonds de baies qui sont des hot spot à palourdes et à coques;
- les zones de rétrécissement, si le courant le permet;
- et le long des cassures.
Les plages peuvent aussi être de bons postes, mais la localisation des daurades royales sur celles-ci peut vite s’apparenter à rechercher une aiguille dans une meule de foin.
Lors de cette sortie, j’avais localisé les dodos à l’entrée du golfe, sur une bordure de plateau derrière une pointe où il y avait 14 mètres de fond. Le poste qui était en bordure d’un courant de plus 4 nœuds n’était pas évident pour la pêche. Pour avoir la bonne vitesse de dérive, il fallait être extrêmement précis pour se placer au plus près du courant sans y être emporté. Mais lorsqu’on trouve les poissons, c’est aux pêcheurs de s’adapter…
L’importance de la dérive
Le placement du bateau pour réaliser sa dérive est une des étapes primordiales pour déclencher les touches des daurades. Dans les entrées d’estuaires, le courant principal est souvent trop puissant pour pouvoir pêcher au tenya convenablement. Il vous faudra donc positionner votre embarcation à l’abri d’une île, d’une pointe ou simplement vous placer à l’écart dans une baie pour avoir une dérive établie entre 0.6 et 1.8 nœuds. Plus lentement, les daurades rechignent souvent à se saisir de votre tenya. Et une dérive plus rapide rendra la prise de votre porte-appât difficile pour les royales.
En dehors des dérives régulières dans les grandes baies, le positionnement peut se révéler difficile et se jouer à deux mètres près. En particulier pour les dérives derrière les pointes proches du courant principal. Un mauvais place-ment peut, soit vous emporter dans le plus gros du jus, soit vous envoyer dans la zone morte du contre-courant. Pour bien vous positionner à cheval entre ces deux zones et obtenir la bonne vitesse qui se situe autour de 1 nœud, il vous faudra donc jouer de la marche arrière à chaque début de dérive pour vous placer le plus précisément possible.
En cas de fond encombré, comme par exemple sur cette moulière, vous devez absolument dériver dans le sens de la pente sous peine de vous faire sanctionner par de nombreuses accroches sur les structures qui jonchent le fond. Laisser trop de matériel au fond de l’eau peut rapidement gâcher votre session. Donc gardez toujours un œil sur votre sondeur et anticipez les têtes de roches en soulevant votre montage quand vous passez dessus.
La sélection par les appâts
La première dérive sur une détection est souvent un moment magique. On attend avec impatience la première touche, le premier rush et le premier combat… Dans ce genre de situation, la gamba est sans aucun doute le meilleur appât pour escher un tenya. En effet, la crevette étant un maillon essentiel de la chaîne alimentaire en mer, elle permet de prendre toutes les espèces, mais elle peut aussi se trouver vite limitée lorsque l’on veut sélectionner les plus gros sujets. J’effectue donc mes premières dérives avec un combo tenya Explorer Deep esché d’une gambas surgelée de chez Pexéo. Les poissons sont bien présents et répondent favorablement. La moyenne de poids est déjà très intéressante avec des daurades dépassant les 2 kg. Mais maintenant, il est temps de pêcher de vraies grosses dodos !
Le crabe vert, qui est le pêché mignon des daurades royales et qui permet de sélectionner les plus gros individus, peut également parfaitement s’escher sur un tenya, du moment que l’on termine son montage avec quelques tours d’élastique à ligaturer. La meilleure façon pour le placer sur votre porte appâts est de rentrer l’hameçon principal par l’arrière en le faisant ressortir par le ventre et de placer votre assist hook à côté de celui-ci, comme on le ferait avec un montage wishbone. Dans cette position, le crabe dérive sur le dos comme un crustacé en difficulté qui dévale le courant et déclenche les attaques des daurades royales avec beaucoup plus d’agressivité que s’il était dans le sens normal.
Les crabes augmentent la moyenne de poids des daurades
Les crabes ayant une portance dans l’eau supérieure à une gamba, un tenya plus lourd doit être utilisé. Je remplace donc mon Deep Explorer 30 gr. monté d’une gamba, par un autre tenya Deep de 40 gr., mais ce coup-ci avec un crabe. Ce changement de poids me permet de garder le contact avec le fond, tout en gardant le même angle avec mon fil.
Les premières touches arrivent immédiatement dès la première descente. Je rends la main, ma canne se charge et… ferrage ! Deux coups de tête puissants ne laissent aucun doute sur qui est au bout du fil. Le premier rush est puissant et un combat avec une vraie grosse dodo commence. Quatre ou cinq minutes plus tard, une belle aux sourcils d’or avec des joues orangées entre dans l’épuisette. Je me replace à mon point initial et rebelotte. Les daurades s’enchaînent les unes après les autres et, comme je m’y attendais, le crabe fait augmenter la moyenne de poids des prises avec des dodos jusqu’à plus de 4 kg. Elles sont toutes prises par l’hameçon principal. La daurade royale, qui est une grosse mangeuse de bivalves et de crabes, possède la faculté de recracher tout ce qui n’est pas comestible ou ce qui les gêne dans la bouche. Comme par exemple les coquilles de crustacés ou les assists hook… L’hameçon principal du tenya, qui est indissociable du plomb, évite ce phénomène de “re-crachement”. Elle se pique d’ailleurs quasiment toute seule à chaque fois.
Toutefois les crabes ne sont pas aussi polyvalents que les gambas au niveau du nombre d’espèces. Le fait de pêcher systématiquement au crabe peut vous faire passer à côté d’un grand nombre d’espèces. En revanche, ils peuvent être une véritable alternative pour les pagres, les émissoles, les raies et bien sûr les royales.
Une animation en “Do Nothing”
Durant la dérive, la seule difficulté est de trouver le bon équilibre entre sentir le fond quasiment en permanence et être à la limite de la perte de contact. C’est pour cela qu’il est indispensable de posséder plusieurs grammages de tenyas. En estuaire ou sur des petites mers intérieures, comme là sur le golfe du Morbihan où le courant est irrégulier, un panel de tenyas de 20 à 50 gr. couvrira 95 % des situations. Comptez entre 1 et 2 gr. par mètre de fond pour une gamba et entre 2 et 3 gr. par mètre de fond pour un crabe.
L’angle de votre ligne doit être légèrement inférieur à 45 degrés et vous devez sentir votre tenya “grésiller sur le fond” pour que celui-ci puisse être perçu comme un véritable crustacé. La limite de la perte de contact avec le substrat servira à votre tenya à sauter naturellement les obstacles sans vous accrocher et à le rendre plus léger lorsqu’une daurade s’en saisira.
À partir du moment où vous aurez trouvé le bon équilibre, une animation de type “Do Nothing” doit être réalisée. C’est-à-dire que vous n’effectuez plus aucune animation particulière. Votre tenya doit travailler tout seul sur le fond. En gros, on traîne et on reste attentif aux touches et aux changements de profondeurs.
Le ferrage
Les touches des daurades royales, même des plus grosses, peuvent être assez discrètes. Il convient de rester attentif tout le long de la dérive. À la moindre touche, il est indispensable de rendre la main. Cette opération peut durer un certain temps, il m’est déjà arrivé de devoir attendre une minute après la première touche avant d’effectuer mon ferrage. Avec un crabe, il faut encore plus retarder le ferrage en cas de touche, car il est assez fréquent que les plus petites daurades leur arrachent tout simplement les pattes.
Lorsqu’un poisson se saisira de votre tenya, il n’aura plus aucune raison de suivre votre dérive. Vous sentirez alors votre canne se charger avec la certitude que vous avez un poisson au bout, et c’est à ce moment-là qu’il faudra effectuer votre ferrage. Et attention au premier rush !
Protégeons la ressource Comme vous le verrez dans la vidéo, la pêche au tenya permet de réaliser des prises exceptionnelles avec une grande quantité de poissons. Mais depuis de nombreuses années que je suis sur l’eau et au quatre coins du pays, je ne peux m’empêcher de faire le même constat. Le stock de poissons diminue de façon significative chaque année pour toutes les espèces. Il est donc capital, lors de ces pêches qui sortent de l’ordinaire, de ne garder que la quantité de poissons dont on a “besoin”. La ressource n’est hélas pas inépuisable